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La Fondation porte plainte contre un marchand de sommeil parisien.

Vendredi 17 juillet, le parquet a fait appel de la décision rendue le 10 juillet. Le Tribunal correctionnel de Paris avait rendu son délibéré dans l'affaire du marchand de sommeil de la rue Marx Dormoy, dans le XVIIIe et le marchand de sommeil avait été relaxé.

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C'est devant la 31ème Chambre correctionnelle de Paris, bvd du Palais, que certains anciens occupants du "village insalubre"' se sont retrouvés à nouveau ce vendredi en début d'après-midi. La déception s'est lue sur les visages à la lecture du délibéré.

En effet, le marchand de sommeil a été relaxé, le procureur ayant choisi de poursuivre uniquement sur la qualification pénale de la « soumission de personne vulnérable à des conditions contraires à la dignité humaine ».

Pour le Comité Actions logement qui a soutenu les familles vicitimes de ce marchand de sommeil et pour la Fondation Abbé Pierre qui s'était portée partie civile, cette décision a suscité une grande déception.

On sait depuis le 17 juillet après-midi que le Parquet a fait appel de cette décision, nouvelle qui a réjouit les familles et les parties civiles.

Lors de l'audience du jeudi 4 juin, les locataires étaient venus nombreux pour poursuivre en justice leur propriétaire, marchand de sommeil dont ils ont été victimes pendant des années.

Pour la Fondation Abbé Pierre et le Comité Actions logement, c'était la première fois qu'une procédure atteignait une telle ampleur : 60 ménages et de nombreux enfants ont vécu dans des conditions indignes et dangereuses, sous le harcèlement régulier d'un marchand de sommeil dont la malhonneteté et l'arrogance, parfois la violence, ont fortement marqué psychologiquement tous les habitants.

Les locataires victimes de ce marchand de sommeil étaient logés dans des anciens garages, dans des logements anciennement chambres d'hôtel... Au total, 4 immeubles situés rue Marx Dormoy, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.

Malgré des arrêtés d'insalubrité sur les parties communes de l'ensemble des immeubles et une grande majorité des appartements loués, le propriétaire a cherché à forcer la main à ses locataires pour continuer à percevoir les loyers. De plus, les travaux réalisés n'étaient nullement effectués selon les normes et la dégradation des immeubles s'est prolongée inexorablement...

Jeff, 40 ans, musicien, est relogé depuis plus d'un an dans un 25 m2 sur l'île Saint-Louis. Au coeur de Paris, dans un immeuble rénové et confortable, il se remet tout juste des années noires vécues au n°40.

"Comme tout le monde, je payais mon loyer en liquide... On défilait dans la cour où il s'installait. La tension était palpable. Il faut savoir que "Michel", le marchand de sommeil, toise tout le monde avec son mètre 90 et ses 200kg...

Parfois, il nous coupait l'eau pendant une journée ou deux... mais il pouvait aussi parfois nous maintenir la coupure pendant 15 jours ! Je n'ai jamais eu de chauffage dans mon logement, le plafond s'est effondré à cause de l'humidité et la cage d'escalier était devenue un vrai danger. Je versais tous les mois 600 euros pour 25 m2. Au début j'ai eu quelques quittances, puis plus rien.

La situation s'est vraiment dégradée quand il nous a demandé un arriéré de charges sur 5 ans. Nous en avions pour 5 à 7000 euros/ locataire et il ne voulait pas nous donner la moindre explication ! C'est là que je suis allé voir le Comité Actions Logement. L'association nous a beaucoup aidés : elle nous a expliqué nos droits et nous a permis de faire une action collective. Là, Michel a commencé à vraiment s'énerver. Il était violent verbalement et parfois même physiquement. C'était infernal."

Jeff a vécu dans le stress et dans l'inquiétude pendant 6 ans. La tension est devenue très forte les deux dernières années, entre 2012 et 2014, lors des nombreuses enquêtes publiques, des passages d'experts dans les immeubles, des pressions incessantes du marchand de sommeil... Aujourd'hui, il est enfin installé dignement, au 5e étage d'un petit immeuble totalement réhabilité, avec un loyer de 250 euros mensuels. "Cela m'a évidemment changé la vie ! Surtout cet hiver où je n'avais enfin plus froid... plus besoin de mettre 2 ou 3 pantalons et de faire la vaisselle avec des moufles ! Je commence seulement à me sentir bien et à me sortir de la tête la vie que j'avais avant..."

 

J'ai pleuré tous les jours pendant 5 ans

Miah et Soprun viennent du Bangladesh. Ils étaient locataires rue Marx Dormoy pendant cinq années. Ils ont vécu à 5 dans 28 m2, pratiquement sans lumière du jour. De ce fait, le logement avait été frappé d'un arrêté d'interdiction d'habiter. Les courants d'air, le manque de chauffage, l'humidité ont marqué à vie Miah qui n'a pas pu mener une de ses grossesses à terme.

Autre traumatisme pour toute la famille, le jour où il a fallu quitter le logement pour quelques heures, le propriétaire leur ayant demandé de s'absenter pour poser une vraie fenêtre. Quand la famille est rentrée en fin de journée, les cloisons qui séparaient les deux petites chambres avaient été abattues. Au milieu des affaires et des meubles, les gravats étaient amoncellés.

"Pendant toutes ces années, je pleurais tous les jours. Dans la cuisine, nous n'avions pas de plafond, c'était un plastique. Les enfants n'avaient pas de place pour travailler, ils étaient 3 sur un même lit tous les soirs... Au début, quand nous avons été relogés, on a été choqués... On ne pensait pas qu'il existait de si grands logements à Paris."

Miah n'oubliera jamais la date de leur emmenagement dans le F4 que la famille occupe désormais. C'était le 16 octobre 2013. Leur fils cadet qui traduit leurs paroles, ajoute. "C'était vraiment un voleur. Moi, si je pouvais aller témoigner, j'irais pour dire comment il était avec nous !"

 

À l'image de ces deux situations inacceptables, une soixantaine de familles au total, dont de nombreux enfants, ont vécu pendant des années dans des conditions contraires à la dignité humaine (absence de chauffage, d'éclairage, insalubrité, défaut d'hygiène minimale, promiscuité). Mis en danger au quotidien, victimes de violations de domicile, de menaces, d'abus de faiblesse ou d'extorsion de fonds, ils réclament aujourd'hui justice. Car s'ils sont aujourd'hui tous relogés, ils veulent que Michel soit jugé et reconnu coupable.

Au regard de la gravité de la situation et des faits reprochés au prévenu, la Fondation Abbé Pierre avait décidé de se constituer partie civile au procès de la SCI et de son gérant. Elle avait été représentée avec l'association CAL à l'audience qui avait débuté à 13H30, le jeudi 4 juin, pour se finir aux alentours de 23 heures.

L'association Comité Actions Logement était aux côtés de la Fondation le 4 juin et le 10 juillet pour soutenir les victimes.