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Le Chemin de pierre", naissance d'un titre

Rencontre avec Felipe Saldivia et Mike Ibrahim, auteurs-compositeurs du titre « Le Chemin de pierre. »

Une chanson sur le mal-logement, pas très évident à écrire sans tomber dans le pathos ou les clichés, non ?

Felipe Saldivia : On a une anecdote à propos de l’écriture de la chanson. Au début, on était parti sur quelque chose de plus bohême, de plus léger. Mais on a très vite senti que pour évoquer la précarité, comme l’entendait la Fondation, il fallait être beaucoup plus frontal.

Quand on a eu des éléments de discours de la Fondation, qu’on a vu le travail de JonOne, tout de suite, l’idée d’une musique qui ressemble à une marche nous est venue.

Il fallait marteler le message comme on marche pas à pas. Celui qui marche, c’est l’exclu et en voix off, l’abbé Pierre qui le soutient et qui dit qu’il faut réagir, se rebeller.

On avait ça dans la tête… Marteler et insister sur le message dans notre société de zapping.

 

F : Moi, je suis Chilien et mes parents ont connu l’exil et le mal-logement. Ils sont arrivés en France en 84… La vie peut changer en un clin d’œil, en un claquement de doigt.  C’est ça qu’on a voulu faire sentir avec l’évocation de « la vie d’avant ».  En fait, il y a un peu un parallèle entre le logement et la musique : dans ces deux domaines, on ne peut pas avancer toujours seul, il faut l’aide des autres.

On ne peut pas toujours avoir de l’énergie et des opportunités sans l’aide d’autrui.

 

Mike Ibrahim : On a des vies privées, on a un statut social et du jour au lendemain, on est dans la rue, sur la route, en danger.

Oui, c’est vrai qu’on peut  faire un parallèle avec la vie du musicien. On a tendance à oublier l’humanité, les histoires individuelles qui se cachent derrière les chiffres et les statistiques. Or, quand on communique comme ça, on oublie les gens, on déshumanise.

Ce qui nous plaît dans le travail de la Fondation,  c’est le travail d’humanisation qu’elle fait. C’est ce qu’on a voulu faire avec les paroles du Chemin de pierre.

 

M : La musique, c’est tout ce qui fait appel à l’émotion. Elle aide à la reconnaissance de l’humanité des gens. Elle permet de retrouver l’humain qu’il y a en chacun de nous qu’on oublie un peu tous les jours…

Quand on fait ce travail, qu’on a cette démarche, on a une autre approche du problème de l’exclusion et du mal-logement. On a de l’empathie.  C’est un premier pas qui est nécessaire avant d’agir.

Moi, je n’ai pas connu le mal-logement mais j’ai des témoignages familiaux qui font que c’est quelque chose qui me parle et cela depuis que je suis très jeune.

J’ai habité près du Canal Saint Martin quand les « Don Quichotte » ont mis le mal-logement sous les yeux des Parisiens… mais j’ai vu aussi, dans mon immeuble, des gens qui étaient au début compréhensifs et ouverts qui peu à peu ont vu les choses d’une manière moins tolérante, plus égoïste…

La réaction des gens qui se lassent, elle est certaine. La première réaction, celle qui consiste à vivre, c’est déjà une forme de révolte.

On est dans une société du zapping, c’est pour cela qu’il faut matraquer le message que l’on veut faire passer. C’est là où une chanson peut jouer un rôle important. Un bon rythme et des paroles, on s’en souvient, c’est entêtant… surtout si les média prennent le relais !

 

Ecrire sur l’abbé Pierre pour des jeunes qui ne l’ont pas connu, qu’est ce que cela a signifié pour vous ?

M : Ne pas trahir l’abbé Pierre et la Fondation, c’était un défi. Ça n’était pas simple, c’était une lourde responsabilité, plus que pour une personne… L’abbé Pierre avait le sens de la « punch-line », c’était un révolté qui savait parler à la foule.

Son obsession, c’était de convaincre. Un sacré défi à relever dans la chanson !

 

F : On a eu l’impression qu’il fallait lui faire honneur, qu’il fallait être dans son énergie, dans son état d’esprit quand on allait écouter cette chanson. Si on l’avait, on tombait forcément juste ! L’énergie de l’Abbé, on l’a ressentie tout de suite. Dès les premières phrases que l’on a lu ou entendu de lui, on a trouvé des amorces.

Il y a chez l’abbé Pierre une poésie très réaliste qui frappe tout de suite.

On était assez possédé pendant l’écriture. Ne pas trahir le message et faire parler l’abbé Pierre, il fallait y arriver.

J’avais vu le film « Hiver 54 »  il y a longtemps et j’ai lu quelques écrits de lui pour trouver l’étincelle, les mots. Mais on n’avait pas besoin de faire tant de recherches que ça car il faisait partie de nos vies, de notre société il y a encore quelques années.

 

M : Une obstination à vivre. Rien ne pouvait l’abattre. C’est ça pour moi l’abbé Pierre. Un homme qu’on ne pouvait pas tordre, un homme toujours debout par ses convictions.

Une chanson, c’est de l’émotion. Il faut frapper les cœurs. Une fois qu’on a frappé, on peut décrire un problème, mais il faut d’abord toucher.

 

F : Moi, cette chanson, je la vois comme une photographie. Il y a un cadre et puis, à l’intérieur il y a l’émotion. Une vérité, si c’est sincère, ça se voit tout de suite.  On la ressent, elle touche et on ne l’oublie pas.

Ce côté percutant de la chanson, c’est l’abbé Pierre. Il n’y a pas une virgule qu’on voudrait changer. Tous ceux qui l’ont entendue, on ressenti ça.

Il y a des gens qu’on n’oublie pas, un film dont on garde une image… si la chanson fait ça quelques heures ou quelques jours ou plus longtemps encore, on aura réussi ! le pari sera gagné.

 

F : Sur ce projet, on n’était pas du tout dans la commande. On était dans le ressenti ; on travaille en miroir avec Mike. Une idée appelle tout de suite un commentaire, un enchainement… C’est comme un itinéraire qu’on découvre à deux, mais là avec une bonne foulée !

Le truc sur lequel on se retrouve vraiment, c’est qu’on fait ce métier qu’on adore depuis plusieurs années et que l’on se façonne avec nos expériences personnelles. Quand on écrit, on se met à la place de l’auditeur, on n’a pas envie d’être trahis.

ça fait plusieurs années qu’on travaille ensemble, dès qu’un sujet nous inspire, le jeu de miroirs fonctionne tout de suite !

 

F : C’est la première fois que l’on écrit pour une personne disparue et admirée de tous… Ce qui nous touche le plus, c’est que toutes les personnes qui l’ont entendu ont dit : « ce sont des paroles qu’il aurait employées ». Alors là, c’est le plus beau cadeau.

 

M : L’espoir, c’est indispensable mais pour moi, à l’inverse, il fallait trouver jusqu’où l’on pouvait aller, jusqu’où il fallait descendre pour évoquer l’exclusion.

« C’est quand on a tout perdu qu’on a tout à gagner » : Cette phase résume tout.  Elle dit : qu’est ce qu’on accepte de perdre pour essayer de changer nos vies ? On peut se sentir solidaire de certaines causes et à certains moments, on oublie qu’on fait partie d’un tout.