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Et les autres ?

Par décision du 6 juillet 2018, la République a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de Fraternité. Une bonne nouvelle, mais il serait excessif de prétendre que cette valeur s’est imposée dans l’espace public. Le mouvement social qui se manifeste depuis la mi-novembre a même démontré avec force que l’injustice sociale était pour beaucoup à l’origine de la colère qui secoue notre pays.

Nous sommes désormais aux prémices d’un Grand débat national que le président de la République a voulu afin, nous l’avons compris ainsi, de recueillir la parole de citoyens qui estiment que la France ne donne pas la même chance à tous ses enfants et que les écarts de niveau de vie se creusent entre ceux qui profitent du progrès et ceux qui en sont exclus. La classe moyenne et les catégories populaires, qui se sentent souvent délaissées par les politiques publiques, se sont mobilisées en gilets jaunes pour le faire savoir.

Pour la Fondation Abbé Pierre, le point d’attention est bien là : ce débat doit servir à faire émerger des décisions partagées en matière sociale, fiscale et environnementale. Mais il doit le faire sans oublier personne, à commencer par les plus pauvres, qui n’ont plus toujours la force de manifester ni de témoigner de leurs souffrances.


Soif de justice et d’égalité


Notre pays compte près de 9 millions de pauvres, 1 million de plus en 10 ans. Il compte 4 millions de mal-logés et, parmi eux, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de moitié sur la même période.

Et ce ne sont-là que des chiffres — « on ne pleure pas devant les statistiques » disait l’abbé Pierre — qui cachent des réalités humaines douloureuses. D’autant plus douloureuses quand l’on n’en voit pas le bout. Le coût du logement est devenu insupportable pour beaucoup, représentant pour les plus pauvres jusqu’à la moitié des revenus et empêchant de nombreux ménages de se chauffer convenablement. Celui de l’énergie explose dans tous les sens du terme, provoquant une colère qu’il est difficile de ne pas comprendre. Pour les catégories populaires, la vie est désormais hors de prix.


Une société inégalitaire assumée ?


Si les Français restent majoritairement solidaires, attachés au modèle qu'ils ont construit et défendu à travers les âges, pour nombre d’entre eux, l’accès à de nombreux services publics n’est plus garanti — ou trop éloigné —, car on a fermé des bureaux de postes, des guichets ou des maternités. Les inégalités se creusent, fissurant au passage la cohésion sociale et allant jusqu'à remettre en cause, par certains, le bien fondé des impôts pourtant si nécessaires pour nos écoles, nos hôpitaux, nos transports et pour venir en aide aux plus fragiles.

Au fil des années, toujours plus nombreux sont les citoyens qui ont le sentiment que nous allons au-devant d’une société inégalitaire de plus en plus assumée par les pouvoirs politiques. Et des mesures récentes sont venues rajouter de l’huile sur le feu : la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique mis en place pour plafonner les revenus financiers des plus aisés, ce sont 5 milliards d’euros en moins chaque année dans les caisses de l’État. Parallèlement, 4 milliards seront ponctionnés chaque année dès 2020 sur les aides au logement (APL) et dans les moyens consacrés à la construction de logements sociaux, qui permettent aux familles fragiles de trouver une solution digne et bon marché. Et que dire des pensions de retraites et des allocations familiales qui ne suivront plus l’augmentation des prix, affaiblissant encore les plus faibles ? À la faveur de choix politiques discutables, la fracture sociale s'est alourdie d’une facture sociale.

Alors que nul ne peut ignorer la réalité de ces souffrances et les perspectives qui s’effacent, il faut avant tout rassurer et rassembler. Et surtout ne pas stigmatiser. Ni les chercheurs d’emploi ou les personnes reléguées loin du progrès, que ce soit en banlieues ou dans nos villages, ni les familles monoparentales auxquelles on demande toujours davantage d’efforts ; ni les ménages pour lesquels trente euros, c’est beaucoup, et trente euros en moins, c’est trop…


Bâtir un monde plus solidaire



Face à ces contradictions trop nombreuses et ces inquiétudes montantes, la Fondation Abbé Pierre propose des solutions en mesure de répondre à ce besoin collectif de transformation sociale et aux défis de notre époque. Parmi elles : instaurer une fiscalité plus juste, via notamment des impôts plus progressifs… renoncer aux coupes sur les APL et sur le logement social… élargir le RSA aux jeunes de moins de 25 ans dont nombreux se retrouvent sans aucune ressource… accélérer la transition écologique en investissant massivement dans la rénovation des 7 millions de passoires énergétiques et ainsi réduire les charges des ménages, tout en épargnant la planète et en créant des dizaines de milliers d’emplois. Faire autrement est possible si chacun contribue à l’effort collectif en fonction de ses moyens.

Notre pays a besoin d’écoute, de respect et de preuves d'amour. Il a plus que jamais besoin de redorer les lettres du mot « Fraternité » sans lesquelles sa devise perdrait le sens historique qu’il a peiné à faire vivre et à défendre.

La Fondation Abbé Pierre continuera sans relâche à relayer la voix des sans-voix. Elle continuera à donner la parole à celles et ceux qui souffrent — souvent en silence — de s’entendre dire qu'ils n’ont pas la gueule de l'emploi, du logement, s’entendre dire qu’ils viennent d'un quartier, d’un village, d'un voyage qui les priverait d’une juste place dans la République. Car c’est seulement si tout le monde est embarqué que tout le monde avance.

Ce grand débat relève un grand défi : rassembler la France autour de valeurs et de projets communs. Sans oublier personne. L’abbé Pierre signait tous ces courriers en questionnant : « Et les autres ? ». Nous sommes aujourd’hui collectivement responsables de la réponse.

Laurent Desmard,
Président de la Fondation Abbé Pierre

Christophe Robert,
Délégué général de la Fondation Abbé Pierre