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L'Appel a fonctionné grâce aux circonstances.

Le 1er février 1954 l'abbé Pierre pousse un cri de détresse sur les ondes de Radio Luxembourg. Un moment inoubliable qu'il évoquait parfois.

Il y a d’abord eu le bébé mort de froid et ma démarche d’écrire et d’appeler le ministre du logement de l’époque, Mr Lemaire, pour lui dire de venir aux obsèques.

Il y a eu ensuite le premier centre fraternel de dépannage à Courbevoie, suivi de celui de la Montagne Sainte Geneviève.

Il y a eu enfin le cri de détresse des Compagnons qui m’ont appelé un soir pour me dire qu’en distribuant la soupe dans les rues de Paris, ils avaient ramassé un tas de chiffons au milieu duquel ils avaient retrouvé un corps sans vie.

Ils n’en pouvaient plus et là, d’un seul coup, j’ai dit à Georges Verpraert, un ami journalise qui était à côté de moi : « Il faut faire quelque chose, ça ne peut plus durer ». Et il m’a dit : « Il faut écrire tout ça. »

Si les Français n’avaient pas vécu la guerre peu de temps avant, l’exode, le froid, les privations, le rationnement, ils n’auraient sans doute pas été aussi sensibles à l’Appel.

 

« Une folie à l’échelle de tout un pays. Une période épuisante »

Au milieu de cette vague immense de solidarité et d’entraide, je  me souviens de quelques anecdotes : les baignoires remplies de billets à l’hôtel Rochester et cet Américain, arrivé tout juste après mon appel, qui se présente au comptoir de l’établissement. On lui prend sa valise des mains, on l'ouvre sous ses yeux et on la vide devant lui sur un tas d’habits en le remerciant ! Il n’en revenait pas, il a fallu lui expliquer ce qui se passait….

Il y avait aussi les élèves de Polytechnique que j’avais fait venir pour compter tous les billets. C’était impossible de gérer tout cela tout seul !

L’abbé Pierre a évoqué plus d’une fois le 1er février 1954 avec son secrétaire particulier, Laurent Desmard, à qui il confiait l’immense fatigue et l’angoisse qui suivirent cette journée historique.

Qu’allais-je faire de tout cet argent ? Comment les Compagnons allaient-ils réagir devant tous ces billets qui tombaient du ciel, eux qui n’avaient rien ?  J’avais tout cela sur les épaules et on me demandait d’aller partout, de venir constater dans toutes les villes de France que des Centres fraternels d’entraide ouvraient, comme je l’avais demandé dans l’Appel…. Comment faire pour répondre à tous ?

Il y avait également la pression politique du curé inconnu devenu tout à coup une personnalité célébrée et médiatisée... C’est à cette époque-là que l’abbé Pierre rencontre des personnes qui l’entoure et lui permettent de faire face à l’insurrection de la Bonté. Le directeur du BHV, Georges Lilaz, le président du Syndicat du Vêtement, André Bercher et Jacques Lazard, de la Banque Lazard. Tous se mettent à son service immédiatement. 

L’Abbé terminait toujours l’évocation de ce souvenir en disant :

« Tout ça, ça a été et c’était fondamental. Mais n’oublions pas tout ce qu’il reste à faire. C’est sans nul doute encore plus important. »
 

Témoignage de Laurent Desmard