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Les délogés oubliés de Marseille

Après le drame de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018, Anthony Micallef a suivi une cinquantaine de personnes délogées pendant 2 ans. Après une exposition, un livre-photos raconte aujourd’hui leur histoire.

« Tata », n’est pas n’importe qui. C’est la toute première personne délogée qu’Anthony a rencontrée lorsqu’il a décidé de raconter l’histoire des personnes délogées de chez elles, dans plusieurs quartiers de Marseille, après le drame de la rue d’Aubagne.

« Quand j’ai rencontré Tata dans sa chambre d’hôtel, cela faisait déjà plus de 10 jours qu’elle avait été délogée. Il y avait sur sa table de nuit, une lettre adressée au Président de la République, qu’elle voulait lui envoyer pour raconter son histoire et qui était intitulée « je suis propriétaire SDF ».

Le point commun entre les 5 000 personnes qui ont été délogées après l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne en 2018 et au cours des 3 ans passés, c’est celui de la netteté, de la précision de leurs souvenirs. « Tata » connaît par cœur le déroulement des faits :

« On m’a appelé au travail et on m’a dit, viens vite ! En moins d’une ½ heure, on était dehors… on a tout juste eu le temps de prendre quelques affaires, je n’ai pris que mon sac, rien de plus. Je me souviens aussi exactement du jour où je suis revenue chez moi, le 19 février 2020, un mois avant mon anniversaire. »

Deux ans délogée

À 59 ans, « Tata » a donc vécu deux ans sans pouvoir revenir chez elle, porte condamnée et cadenassée. Il a fallu vivre loin de chez soi, loin de son quartier où elle est née. « J’ai même passé 4 jours dehors au début, j’étais tellement choquée par ce qui m’arrivait que je n’ai pas réagi. En tant que propriétaire, rien n’avait été prévu pour nous… La seule chose qu’on nous a dit sur le moment c’est : « Ne vous inquiétez pas, ça ne durera pas plus de 4 jours….Puis, finalement, j’ai obtenu une chambre dans un hôtel. »

C’est à ce moment-là qu’Anthony a rencontré « Tata » et de nombreux autres délogés : « Ce qui m’a frappé, c’est que je pensais que certains ne voudraient pas témoigner ni se confier à un journaliste après un tel traumatisme. Mais au contraire, ils m’ont quasiment tous ouvert leur porte en me disant : « Tiens, toi tu t’intéresses à nous ? »

Dans l’immeuble de « Tata » situé dans le 3e arrondissement, comme dans de nombreux immeubles du centre historique de Marseille, ce sont d’importantes infiltrations d’eau qui sont à l’origine des arrêtés de péril et des délogements.

 

Les travaux de réhabilitation des parties communes de l’immeuble de « Tata », ont pris du temps et il a fallu se battre pendant des mois pour qu’ils se fassent :

« Heureusement que nous étions 4 propriétaires. On s’est battu sans arrêt, on était tous impliqués. Il a fallu taper du poing sur la table pour obtenir que les travaux soient faits et encore aujourd’hui, nous n’avons toujours pas reçu la subvention à laquelle nous avons droit ! Moi, ma maison, c’est tout ce que j’ai. C’est pour l’avoir que j’ai travaillé toute ma vie, à faire des ménages. Et pendant les deux ans, j’ai continué à payer mes charges… »

Aujourd’hui, le frère de « Tata » vient d’être relogé, après 3 ans d’attente. Un triste record parmi les 5000 personnes évacuées qui sont restées de 6 mois à 2 ans avec ce double statut de « délogé oublié ».

« Tout le monde à Marseille connaît quelqu’un qui a été délogé et quand on sait qu’ici, les gens se définissent d’abord par leur quartier, on imagine facilement le traumatisme que cela a été d’en être exclu du jour au lendemain. Et puis, dans les propositions de relogement qui ont été faites, on a parfois envoyé les gens à l’autre bout de la ville : Comment faire ensuite pour aller travailler ? Pour aller à l’école ? Marseille, c’est une ville grande comme Paris et Lyon réunies ! », précise Anthony qui continue de suivre les délogés.

« ça a vraiment été très dur… Il a fallu avoir un sacré moral pour attendre et ne pas lâcher le morceau. Aujourd’hui, ça y est, je suis enfin de retour chez moi. Et Anthony m’a accompagnée jusqu’à l’ouverture de ma porte ! », précise « Tata » qui n’a jamais perdu son sourire.

Après l'exposition financée en partie par la Fondation, le livre-photos « Indigne Toit », également soutenu par la Fondation Abbé Pierre, paraîtra chez André Frère Éditions, le 16 septembre et sera diffusé en librairie. Il est actuellement disponible en précommande au prix promotionnel de 24 euros ici : https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/indignetoit/