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Éviter l’expulsion, leur quotidien.

Écouter la détresse, accompagner les personnes en difficulté et agir en amont pour prévenir les expulsions… Des associations évitent chaque jour des tragédies humaines. Et l’État aurait tout à gagner à les soutenir davantage.

« Pour moi, passer au Tribunal, c’était enchaîner direct avec la rue le lendemain. Sur le coup, j’étais sonnée. C’était la première fois que j’en arrivais là. » Intérimaire, Karine jongle depuis dix-sept ans avec les variations de revenu. « J’ai l’habitude des hauts et des bas, j’ai toujours trouvé des arrangements avec mes propriétaires. Mais là, le dialogue n’était plus possible. » Roubaisienne, elle vit avec son fils de 20 ans dans une petite maison de 45 m2 sur cour où elle s’est installée il y a 2 ans et demie. « Quand je suis en contrat, j’ai les moyens de payer mon loyer ; quand j’ai juste les Assedic, c’est loin d’être gagné… » Lucide, Karine a toujours été consciente de la précarité de sa situation et n’a jamais baissé les bras. Mais sa convocation au Tribunal l’a secouée psychologiquement. « Heureusement que le Graal était là. Tout de suite, on m’a aidée à trouver une  solution, on m’a mise en confiance. J’ai eu une avocate qui m’a tout expliqué. Non seulement j’ai pu rester chez moi, mais en plus, j’ai pu reprendre le dialogue avec mon propriétaire. J’ai compris sa position et j’ai pu lui expliquer la mienne. » Dialoguer, trouver ensemble les causes de la dette et la solutionner pour éviter le traumatisme de l’expulsion, c’est cela que le Groupe de recherche pour l’aide et l’accès au logement (GRAAL) développe depuis 2017 dans le parc privé de la métropole lilloise. Formalisée par une convention tripartite entre le locataire, le propriétaire et l’association, la médiation repose sur l’engagement des parties autour d’un plan d’apurement de la dette, d’une reprise de paiement du loyer avec maintien dans les lieux ou relogement. Durant la convention, le Graal paye la totalité du loyer au propriétaire et le locataire participe à hauteur de ses possibilités. L’an dernier, 17 conventions ont été signées pour un montant moyen de dette de 3 000 euros.

Unir, non pas diviser

« Pendant 6 mois, je ne paye plus mon loyer au propriétaire, je lui rembourse uniquement ma dette. On a convenu tous les trois que je pouvais rembourser 50 euros par mois. Je peux sortir la tête de l’eau, j’ai repris mes esprits après la panique. Je sais que j’ai fait des erreurs et là, je prouve ma bonne foi, c’est vraiment important », précise Karine qui ne se sent pas du tout assistée : « Au contraire, ce sont 6 mois pendant lesquels je dois faire mes preuves, c’est normal et je me sens impliquée », précise cette mère de 39 ans, qui a aussi fait un point sur l’ensemble de sa situation. « J’avais déjà fait une demande de logement social, mais je n’avais rien fait pour la prime d’activité. Aujourd’hui, je touche 154,10 euros en plus depuis janvier », note-t-elle fièrement. « En 2018, nous avons accompagné 73 ménages, avec des situations très diverses. Ce qui est sûr, c’est que dans tous les cas, l’expulsion est la pire des solutions, y compris pour les propriétaires qui sont le plus souvent de bonne volonté », précise Maïté Parent, l’éducatrice spécialisée salariée à plein temps sur le conventionnement. 3 voisins de Karine ont le même propriétaire qu’elle. À Roubaix, ce dernier possède une dizaine de logements, de 50 à 60 m2, au loyer moyen de 500 euros par mois, hors charges. « J’ai des locataires en difficulté et saisir la justice, c’est pour moi le dernier recours. Mais c’est vrai que sans suivi et sans aide, certains ont du mal à payer leur loyer dans la durée. La convention, c’est pour moi la sécurité et l’efficacité : je suis sûr que ce qui est dit sera fait. J’ai aiguillé 2 autres de mes locataires vers le Graal. L’association a aussi fait un diagnostic énergétique dans le logement de Karine et je ne suis pas du tout opposé à faire des travaux, surtout si je peux bénéficier de financements et que l’association m’aide à faire les papiers. Je sais qu’elle sensibilisera aussi les occupants aux économies d’énergie et ça aussi, ça me convient », note Louis Fiévet. De fait, l’accompagnement associatif va bien au-delà de la résorption de la dette locative. « Nous travaillons aussi sur la santé, l’emploi, et même la parentalité. Ce sont sur tous ces paramètres qu’il faut agir pour qu’il y ait une vraie pérennité de la démarche », note Melvine Laurencin, coordinatrice au Graal. La convention se révèle aussi un réel levier pour le relogement, lorsque le loyer est inadapté à la situation du locataire.