En résistance, contre le froid.
La précarité énergétique dans l'oeil photographique, c'est le thème d'une exposition qui mêle photographies et entretiens, à la mairie du Xe arrondissement de Paris, jusqu'au 2 janvier 2016.
« Le froid glacial entre par les sols, il fait 12° dans la caravane, 8° dans nos chambres. Les aliments gèlent dans les placard de la cuisine. L’été il y fait 40°... »
Valérie, 44 ans, assistante maternelle en invalidité, mère de quatre enfants, dont Maïlys 9 ans et Sandy 11 ans. Accédant à la propriété d’une vieille ferme en Puisaye. Vit en caravane.
En France, selon l'Observatoire national de la précarité énergétique, 5,1 millions de foyers français seraient touchés par la « vulnérabilité énergétique », soit près d’un quart des ménages.
Entrer dans le foyer d’un précaire énergétique, c’est faire l’expérience très abrupte de conditions de vie « en résistance, contre le froid ».
Qui vit dans le froid, du fait d’un logement «inchauffable», ou de restrictions permanentes ? Quels sont ceux qui subissent les coupures de compteur pour cause d’impayés ?
Soutenu par la Fondation Abbé Pierre, ce portrait photographique et anthropologique de la précarité énergétique a été entrepris par Bruno Maresca, sociologue, dans le but de mettre un visage sur quelques situations.
ILLUSTRER la diversité des traits de la précarité énergétique.
Propriétaires occupants de bâtis vétustes, qui n’ont pas les ressources pour mener des travaux de rénovation ; locataires dans des logements dégradés, que les propriétaires ne veulent pas améliorer... cette précarité-là, bien que focalisée sur la dépense énergétique, renvoie à la question plus ancienne du mal-logement.
S’ajoutent à cela beaucoup de situations qui relèvent de la stricte précarité financière, dans des logements sains et normalement efficaces, donnant lieu à des pratiques de restriction drastique, aux impayés, voire aux coupures de gaz et d’électricité.
Bruno Maresca a réalisé les textes qui permettent d'appréhender la diversité des situations de la précarité énergétique et de comprendre leurs causes et leurs conséquences. Ce travail s'intègre à ses contributions à l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE).
Stéphanie Lacombe, photographe, a réalisé les 28 visuels qui illustrent les 13 témoignages réunis dans l'exposition. Ce reportage fait partie de l'ensemble de son travail photographique et documentaire sur l'habitat et l'habitant.
"Montrer le combat que mènent les victimes de la précarité énergétique"
"Nous sommes allés à la rencontre de 13 familles qui ont bien voulu participé à notre démarche. Nous ne voulions pas souligner la précarité des situations mais bien au contraire montrer le combat quotidien que les personnes qui en sont victimes doivent mener jour après jour.
J'ai accepté de mener ce projet avec Bruno Maresca, sociologue, car je me suis dit qu'effectivement, comme tout le monde, je savais que des personnes avaient froid dans leur logement mais que, dans les faits, je ne voyais pas vraiment ce que cela voulait dire concrètement.
Nous avons rencontré les familles pendant la période hivernale de l'an dernier. Et j'ai voulu capter dans mes photos, le combat mené chaque jour, le "système D" qu'elles mettent en place pour tenir et continuer de vivre.
Je pense que c'est pour cela que les familles ont bien voulu que nous les rencontrions. Nous étions là pour montrer qu'elles continuent de vivre, qu'elles se battent. Et pas seulement souligner qu'elles sont en souffrance."
"On n’a pas mesuré en emménageant dans cette maison, quelle serait la facture d’électricité. Construite en 1981, elle était équipée de radiateurs électriques de l’époque, les « grilles pain » des années 70. Quand on a reçu la note, j’ai eu un choc, je ne m’attendais pas à ça : 3000 euros ? Je ne comprenais pas, c’était horrible...
Depuis, on n’allume plus les radiateurs. En hiver, il fait 12°C dans le séjour. On vit tous dans la même pièce, et on maintient les volets fermés, pour isoler... On fait de la soupe tous les jours, on mange avec une veste, et on regarde la télé avec la couette. Moi, si je suis toute seule, je ne chauffe pas. Je vais directement dans mon lit...".
"Cette situation répond précisément au critère qui définit la précarité énergétique : le coût réel pour chauffer son logement excède le seuil des 10 % du budget du ménage. Compte tenu de leur niveau de revenu et des crédits qu’ils remboursent encore, la restriction drastique de l’utilisation du chauffage est incontournable..." (Bruno Maresca, extraits).
Un repli sur soi et des conséquences sanitaires
À l'origine de cette exposition, Bruno Maresca a cherché à rendre plus nette à nos yeux la situation de ceux et celles qui sont victimes de la précarité énergétique.
"Ce qui est fortement ressorti de ce travail, c'est que, malgré la diversité des situations, propriétaires et locataires sont étranglés financièrement. Pour des raisons différentes et à des degrés variés, la situation financière induit obligatoirement la restriction.
On ne mesure pas l'impact de la restriction du confort thermique, tant il va de soi dans notre société actuelle où nous vivons tous dans le confort. Or cette restriction, voire cette absence de confort thermique, est lourde de conséquences.
Cette approche m'a permis de mettre en évidence deux conséquences majeures de la précarité énergétique : le repli sur soi - qui se traduit aussi souvent par le repli sur une seule pièce dans le logement - et les conséquences sanitaires.
Les conséquences sanitaires sont très fortes. Elles ne se traduisent pas uniquement par des syndrômes pulmonaires. Il y a également le développement d'états dépressifs chez les adultes et chez les adolescents. Le manque de chauffage a un effet pernicieux sur l'ensemble de la famille."