Hiver 54 : des nourrissons meurent dans des roulottes...
Témoignage de Daniel Atlan, groom de l'hôtel Rochester.
L’hiver 1954 s’est installé tardivement cette année-là et c’est sous des températures printanières que le président Coty, nouvellement élu, prend ses fonctions le 16 janvier.
À partir du 22 janvier et jusqu’au 7 février, un froid rigoureux et généralisé paralyse la France. Les principaux cours d’eau gèlent, comme le Rhône au niveau d’Arles. Ce froid polaire atteint son maximum d’intensité entre le 31 janvier et le 2 février où les vents forts rendent les conditions atmosphériques difficilement supportables. On enregistre -25° à Luxeuil-les-bains, -21° à Mulhouse, -17° à Nancy, -16° à Reims et –13° à Paris mais au vent, le ressenti est plutôt de l’ordre de –25 à –40° !
De nombreux « vieillards » (comme on les appelait à l’époque) sont terrassés par le froid, le plus souvent touchés par des congestions. Les cas d’intoxications liés à des chauffages défectueux dégageant d’importantes quantités de dioxyde de carbone sont également fréquents.
À Paris et en banlieue, avec les besoins accrus de chauffage, on constate une baisse sensible de pression du gaz. Certains foyers sont même privés de ce précieux combustible.
Des nourrissons meurent dans des roulottes, des carcasses de voitures.
Enfin, et surtout, la mort de plusieurs bébés - dont un âgé de trois jours - dans des roulottes ou des carcasses de voitures, à 30 km de Paris notamment, dans le camp de Pomponne, en Seine-et-Marne, provoque l’indignation et le plus grand émoi dans l’opinion publique : on se rend compte de l’incapacité de satisfaire le premier des besoins : celui d’avoir un toit.
À l’hôtel Rochester, au 92 rue de la Boétie, les étrangers de passage sont nombreux et bien accueillis depuis toujours dans cet établissement de qualité tenu par Mme Larmier qui vit à l’intérieur du lieu.
À deux pas des Champs Elysées, cet hôtel 3 étoiles est connu et apprécié par une clientèle de standing.
Le 1er février, les réservations sont pourtant arrêtées ; l’hôtel est mis à disposition d’un personnage encore mal connu à l’époque qui va bouleverser la France.
« J’avais été embauché comme chasseur, j’avais 19 ans à l’époque et j’étais sous les ordres du concierge de l’hôtel. Je m’occupais des clients, je leur cherchais une place de théâtre, un taxi, un teinturier…J’ai même rencontré Charles Dumont qui était un client.
Tout à coup, il n’y avait plus de client dans l’hôtel. Et puis, dans la matinée, ça a commencé.
Tout le monde défilait, hommes, femmes de tous milieux. Alors que c’était l’après-guerre et que personne n’était très riche, les gens n’arrêtait pas d’entrer et de sortir. Des centaines et des centaines de billets étaient déposés dans les corbeilles que nous avions diposées sur le comptoir de la réception.
Le soir, à trois ou quatre, on les montait à l’étage et on les vidait dans les baignoires des chambres vides. On en a rempli 5… Je dormais sur place, sans aucun système de sécurité, sans la moindre peur.»
En un mois, 20 000 personnes défileront à l’Hôtel Rochester, sous les yeux ébahis du personnel et de l’occupant de la chambre 412, l’abbé Pierre.
Témoignage de Daniel Atlan.