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Le mal-logement au féminin

À chaque étape de leur vie, les femmes sont plus exposées à la précarité que les hommes et plus fortement touchées par le mal-logement.

En plein centre de Lyon, « Passerelles buissonnières » et son équipe féminine salariée (une médecin, une juriste et une accueillante) concourent au mieux-être de plus d’une centaine de femmes exilées et isolées chaque année, en les accompagnant sur le long terme pour les aider à construire leur avenir : « Nous intervenons en binôme et avec le soutien de bénévoles qui animent les ateliers, pour favoriser le lien, l’échange ; pour libérer la parole. Depuis l’automne, nous voyons chaque jour plus de femmes à la rue frapper à notre porte, avec ou sans enfant. Nous avons ouvert un atelier de psychomotricité pour que le lien mère/enfant puisse être préservé, puisse s’épanouir » Cet hiver, alors que 275 enfants dormaient dehors, le maire de Lyon a demandé à l’État d’agir, l’hébergement des familles étant de son ressort. « Le problème s’est clairement aggravé, il n’y a pas assez de places en foyers pour ces femmes. La seule solution aujourd’hui, c’est l’hébergement citoyen, mais il n’est pas extensible et n’est pas toujours adapté », confie Marion Huissoud-Gachet, l’une des deux fondatrices de l’association. Une des premières femmes accompagnées par « Passerelles buissonnières » est Congolaise, cela fait 11 ans qu’elle vient à l’association. Errance, nuitées d’hôtels, séjours en foyer, hébergement chez des tiers, elle a connu toutes les formes de mal-logement et a été victime d’esclavage moderne. « Sa santé et celle de son fils se dégradaient peu à peu. Nous l’avons aidée à dire non, à refuser cette situation. » Kinésithérapeute dans son pays, elle a suivi une formation d’aide-soignante à Lyon et est aujourd’hui diplômée, mais toujours en attente de la régularisation de sa situation. « Tout le monde est perdant dans cette histoire : non seulement, on hypothèque la vie des gens, mais l’hébergement d’urgence coûte cher à la société, alors que cette femme peut travailler, qu’on la demande et qu’elle pourrait se loger à Lyon » note Marion. Rien que dans le département du Rhône, le coût de l’ensemble des dispositifs d’hébergement d’urgence dépassera les 100 millions d’euros en 2023… auxquels il faudra ajouter les coûts liés aux soins, dus à la dégradation de la santé des personnes mal logées. « Nous le voyons, le mal-logement tue à petit feu. »

À Nice, une autre structure dédiée aux femmes et soutenue par la Fondation a ouvert ses portes fin octobre. Ouverte de 8 heures à 18 heures, du lundi au vendredi, c’est le seul accueil de jour de la ville dédié qui leur est destiné. Self défense, ostéopathie, relooking, cuisine… des ateliers collectifs sont organisés, en complément d’une aide personnalisée (santé, aide juridique et administrative, insertion…). En 3 mois, les deux salariées d’«Oasis » et leurs bénévoles ont accueilli 58 femmes, de 18 à 60 ans. « Outre des services de base (petit déjeuner, repas du midi ; vêtements, laverie…), l’objectif ici, c’est d’offrir un lieu de sécurité aux femmes, un lieu où elles n’ont plus à cacher leur féminité pour survivre et où elles retrouvent la force d’avancer. Beaucoup d’entre elles se sont retrouvées à la rue pour fuir la violence », précise Tanja Jakic, la fondatrice.

« On me reconnaît »

Travailler dans le temps long, sortir les femmes de leur isolement, leur permettre d’être écoutées en tant que femmes, c’est aussi l’une des missions de la « Halte Fontenaysienne » qui accompagne chaque année 25 familles, presque toutes monoparentales. À Fontenay-sous-Bois, le territoire d’action de la Halte s’étend sur 9 communes et 25 hôtels sociaux. « Notre entrée, c’est la précarité des familles ; 350 vivent en hébergement d’urgence. Les femmes n’ont aucun lien avec l’extérieur ; la seule sortie, c’est le trajet de l’école, quand l’enfant est scolarisé. Elles sont en situation de désespérance et en même temps elles ont une force mentale incroyable », note Nathalie Kaufmann, chargée de mission à la Halte. Domiciliation, laverie, épicerie solidaire, ateliers participatifs… Les vendredi après-midi, l’accueil de jour est réservé aux femmes. « Du matin au soir, ces femmes ont une charge mentale titanesque sur leurs épaules. Ici, elles se posent, discutent entre elles, s’entraident ; elles retrouvent leur dignité et prennent soin d’elles », ajoute Nathalie. C’est ici que Saman, mère de deux petites filles de 3 ans et 10 mois, a connu Fanta, Ivoirienne, comme elle. Au fil des ateliers, des confidences s’échangent, l’une et l’autre se soutiennent. « Je n’ai personne à qui parler, je viens tous les jours à la Halte avec ma petite et je retrouve Fanta le vendredi. Mes filles me donnent le courage et l’amitié aussi. Ici, j’ai une place et on me reconnaît quand j’arrive » confie Saman, les larmes aux yeux. « Ici, il n’y a plus de problème de courses, de linge, de punaises de lit ; on rigole même ! ». Son amie Fanta est enceinte de 7 mois. Elle a fui son pays après un mariage forcé et vient tous les après-midi à la Halte. Le reste du temps, elle marche dans la rue ou dans les magasins ; le dimanche elle se réfugie à la gare. Et tous les soirs, elle appelle le 115. « J’attends sous l’abribus, je rappelle à 22 heures. Très souvent, ça ne répond pas. » La jeune femme de 34 ans reprend après un moment de silence, le regard perdu au loin. « La rue, c’est dangereux. Je sais où je peux dormir, j’ai appris auprès d’autres femmes. Ici, on peut tout se dire, ça permet de ne pas garder tout ça en soi, c’est trop lourd, je ne veux pas que ça m’abîme à l’intérieur. Ici, je peux partager mes rêves et mes difficultés. »

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Sur les corps, les marques de la violence de la rue, de la violence conjugale viennent souvent parler à la place des femmes. « C’est un travail de soin presque thérapeutique que je fais avec elles, pour qu’elles puissent retrouver les femmes qu’elles sont et qu’elles veulent être. J’aide à la poursuite de leur vie, en permettant le bien-être avec son corps après toutes ces souffrances », précise Elodie Souvay, socio-esthéticienne salariée qui anime depuis un an un atelier bien-être à la Halte. Zineb est hébergée dans un hôtel social près de la place de la Nation, à Paris et dès qu’elle le peut, elle revient à la Halte. Son regard s’illumine dès qu’elle évoque les ateliers ou ses activités de bénévolat à Fontenay : « Quand l’assistante sociale m’a envoyée à l’hôtel à Paris, elle a cassé ma vie. Je souffre là-bas, je n’ai rien ni personne. Ici, c’est ma famille. Cuisiner pour mon fils, le garder en bonne santé, c’est mon bonheur… Aujourd’hui, je travaille 4 heures par semaine comme aide à domicile, je ne suis plus enfermée à l’hôtel. Mon fils est intégré à l’école, il me donne l’énergie d’avancer dans la vie » témoigne-t-elle avec ferveur.

 

En avril, la Halte ouvrira un nouveau lieu, « La Maison des familles », afin de mieux répondre aux besoins des mères isolées, parfois des pères. « La question de l’habiter dans une chambre d’hôtel de 12 m2 avec 2 ou 3 enfants, c’est une question de mal-logement, de santé, d’équilibre psychologique, mais aussi de citoyenneté. D’emblée, les chances d’intégration des parents et des enfants sont réduites. Quels futurs citoyens vont-ils devenir ? » questionne Nathalie. Récemment, le préfet délégué pour l’égalité des chances, Benoît Kaplan, en visite dans le Val de Marne, a confirmé le soutien financier de l’État au fonctionnement de « La Maison des familles », considérant que « les femmes hébergées à l’hôtel étaient un public oublié des politiques publiques. »