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L’habitat indigne en France

Un phénomène massif qui réclame en urgence une politique nationale ambitieuse

Le drame des effondrements d’immeubles à Marseille a mis en avant l’urgence d’affronter une réalité qui concerne aujourd’hui 900 000 à 1 300 000 personnes, contraintes de vivre dans des conditions d’habitat dangereuses et indignes.

Très présent dans des centres anciens de grandes agglomérations, négligés depuis trop longtemps, l’habitat indigne touche aussi le reste du territoire, en métropole comme en outre-mer, de manière parfois invisible : les zones périurbaines, les bourgs anciens, les villages et les territoires ruraux reculés.

Ce phénomène massif (600 000 logements) est en grande partie le résultat d’une crise du logement qui persiste et qui, par le manque de logements accessibles aux ménages pauvres et l’explosion des loyers dans le parc privé décent, a produit des effets désastreux :

  • Celui d’alimenter un « sous-marché » locatif de très mauvaise qualité dans lequel, faute de solutions, des ménages se logent dans des conditions dangereuses pour leur santé et leur sécurité : des locaux impropres à l’habitation (caves, soupentes…), des pavillons « divisés », des micro-logements, etc., qui offrent des effets d’aubaine pour certains propriétaires peu scrupuleux. Bien souvent, les ménages n’ont, ni la force, ni le réflexe, ni les contacts nécessaires pour dénoncer cette situation.
  • La crise pousse aussi certains ménages à rechercher sécurité et stabilité dans l’accès à la propriété. Mais pour les moins protégés, devenir propriétaire se révèle parfois une cruelle impasse. Soit parce qu’ils achètent un logement peu cher dans une copropriété dégradée et découvrent ensuite le poids des charges et des travaux à réaliser, soit parce qu’ils font l’acquisition, en zone rurale, d’un logement « à rénover », et voient le projet compromis par le premier imprévu. Ils se retrouvent alors endettés et piégés dans un logement inhabitable, parfois avec de jeunes enfants.

L’habitat indigne c’est aussi une manifestation de la pauvreté et de l’isolement social. C’est le cas, par exemple, de nombreuses personnes âgées en milieu rural, qui subissent depuis longtemps des conditions d’habitat difficiles et dangereuses, et n’appellent jamais à l’aide.

Les actions menées pour résorber ces différentes manifestations de l’habitat indigne - toutes plus préoccupantes les unes que les autres - sont nettement sous-calibrées.

Certes, le gouvernement multiplie les annonces percutantes contre les « marchands de sommeil », phénomène révoltant et contre lequel il faut agir effectivement avec détermination. Certes, il a mis en place récemment deux plans pour contribuer à lutter contre l’habitat indigne (le plan « Initiatives Copropriétés » et le programme « Action Cœur de ville »), dont il faut saluer l’initiative.

Mais ces plans ne fonctionneront qu’avec un engagement réel et large des collectivités. Or que se passe-t-il concrètement sur le terrain aujourd’hui ? Quelle est la réalité de la mobilisation des collectivités territoriales ?

À l’heure actuelle, les nombreux outils, moyens financiers et dispositifs ne sont pas suffisamment saisis par les forces vives sur le terrain : trop de territoires n’ont pas mis en place d’opérations de lutte contre l’habitat indigne (alors qu’un atlas actualisé régulièrement leur permet d’identifier les zones concernées) et trop de ménages restent en souffrance, dans l’attente d’une aide de la puissance publique. Les procédures coercitives (arrêtés d’insalubrité et de péril notamment) ne sont pas engagées ou pas suivies comme il le faudrait par les agents de l’Etat ou des services d’hygiène, la justice peine encore à poursuivre et condamner de manière effective les personnes qui ne respectent pas la loi.

Par ailleurs, l’accompagnement des occupants est déterminant, car aucune solution ne peut aboutir sans que le locataire ou le propriétaire occupant ne soit informé, rassuré, convaincu et accompagné dans la durée. Or cet accompagnement est gravement sous-financé : 3 à 5 fois moins que nécessaire en ce qui concerne l’accompagnement sociotechnique des propriétaires occupants, et très peu financé en ce qui concerne l’accompagnement juridique des locataires, pour leur permettre de connaître et défendre leurs droits.

En somme, l’ambition et la volonté ne sont pas au rendez-vous. Cette situation ne peut durer et le drame de Marseille doit amener l’Etat et les élus de tous les territoires à ouvrir les yeux et à se saisir de l’arsenal existant. La Fondation Abbé Pierre demande donc au gouvernement d’engager sans tarder un ambitieux plan national de lutte contre l’habitat indigne, avec une véritable volonté programmatique :

  • En fixant des objectifs quantitatifs et qualitatifs aux territoires, assortis d’obligations de résultats : ce sont environ 60 000 logements indignes qui doivent être rénovés chaque année pendant 10 ans. À l'heure actuelle, les objectifs fixés à l’Agence Nationale de l’Habitat, l’un des principaux acteurs et financeurs des travaux, sont seulement de 10 000 à 15 000 logements à traiter par an, et ne sont pas atteints (78 % en 2017 sur un objectif de 14 500 logements).
  • En exigeant des engagements contractualisés des collectivités locales (départements et Intercommunalités), à l’instar des « contrats locaux d’engagements » signés au lancement du plan national de rénovation énergétique des logements (programme « Habiter Mieux »).
  • En développant sur l’ensemble du territoire, les opérations à périmètre départemental afin de couvrir les moindres recoins du territoire (les « programmes d’intérêt général »), dans le cadre desquels une attention devra être apportée :
    • Sur le repérage fin des situations (des expériences ont prouvé leur efficacité),
    • Sur le travail d’accompagnement des ménages concernés, pour éviter qu’ils ne se découragent devant la complexité de leur situation,
    • Sur l’utilisation des procédures coercitives (arrêtés d’insalubrité et de péril notamment) face aux bailleurs indélicats.
  • En intensifiant les opérations urbaines et foncières ciblées sur des quartiers, des îlots ou des immeubles, dans les centres urbains où différentes formes d’habitat indigne s’additionnent et s’entrecroisent avec complexité. Ces actions d’envergure offrent un panel d’outils adaptables à chaque contexte (techniques, fonciers, financiers, etc.), capables d’inciter les propriétaires à réaliser des travaux (notamment par des aides financières), ou de les y obliger, voire de faire à leur place si besoin (travaux d’office, substitutions).
  • En mobilisant des moyens financiers importants, pour les travaux à réaliser, le travail des professionnels chargés de mettre en œuvre les opérations, et pour l’accompagnement des occupants victimes d’habitat indigne, qu’ils soient locataires ou propriétaires occupants.

Enfin, il nous faut agir sur tous les maillons des politiques du logement pour que l’habitat indigne ne soit plus un inacceptable refuge pour des ménages qui n’ont pas pu se loger décemment ailleurs.

La bataille contre l’habitat indigne ne pourra être gagnée que lorsque la crise du logement sera enrayée par la mise en œuvre de toutes les mesures portées depuis des années par les associations et la Fondation Abbé Pierre : production massive de logements à loyers abordables (et bien situés), encadrement des loyers en secteurs tendus, augmentation des APL, accélération de la politique du logement d’abord, intensification de la prévention des expulsions locatives, renforcement des moyens pour les quartiers en politique de la ville…