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Covid, la vague de fraternité

La crise sanitaire a confiné les Français pendant deux mois et mis en danger de mort ceux qui vivent à la rue ou sont mal logés. Avec le déconfinement, la pandémie semble sous contrôle. Mais la France est en sursis car c’est la crise économique et sociale qui risque désormais de faire basculer des dizaines de milliers de personnes dans la pauvreté.

Le 17 mars dernier, apparaissait un mot d’ordre : « Restez chez vous ». Mais comment rester chez soi quand on n’a pas de chez-soi ? Quand on vit entassé dans un bidonville ou dans un squat ? Comment se laver les mains quand on n’a pas accès à l’eau ?

Dès les premiers jours de confinement, la détresse des personnes en errance et des plus mal-logés a été révélée au grand jour. De manière brutale et saisissante, les inégalités au sein de notre société ont refait surface dans le pays à l’arrêt. À Marseille, à Lyon, en Ile-de-France, villes et région les plus riches de France, le virus a eu un effet loupe sur la pauvreté de milliers d’entre nous. Dès le 23 mars, le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope appelait à la mutualisation des moyens et des plaidoyers associatifs afin d’assurer une assistance sanitaire et un accès aux biens de première nécessité pour toutes les personnes vivant en squats et en bidonvilles. Pendant plusieurs semaines, des synthèses quotidiennes sur la santé, l’alimentation, l’accès à l’eau des personnes à la rue et en grande difficulté ont été rédigées et présentées lors des réunions ministérielles auxquelles participaient les principaux acteurs associatifs. Fin avril, le Collectif des Associations Unies publiait un dossier de presse, « Les oubliés du confinement », qui recensait les urgences en matière de mises à l’abri, de couverture des besoins vitaux et d’accès aux soins, soulignant la persistance de territoires encore particulièrement exposés à Toulouse, Marseille, Calais, Mayotte ou encore en Guyane, un mois après le début de la crise sanitaire.

Si le pire a été évité, la fermeture de tous les accueils de jour, de tous les centres de distribution alimentaire le 17 mars a eu l’effet d’un couperet, supprimant toute forme d’aide aux personnes en détresse. Et il n’a fallu que quelques jours pour qu’une réaction en chaîne se produise partout sur le territoire. Dans les campus, des étudiants isolés et sans ressources n’avaient plus de quoi se nourrir ; dans les quartiers populaires, des cas de malnutrition et de faim se sont ajoutés aux situations de mal-logement. Avec l’arrêt quasi complet de l’activité économique, avec la fermeture des écoles, des familles modestes ont vu leurs revenus chuter en même temps que leurs charges augmentaient. Comment assurer 1 repas de plus par jour faute de cantine, et assumer une hausse de la consommation de l’eau et de l’électricité lorsque l’on vit avec seulement 2 euros/jour et par personne ?

Deux mois après le début de la crise sanitaire, les acteurs associatifs continuaient de tirer la sonnette d’alarme et confirmaient l’amorce de lourdes conséquences sociales pour des milliers de familles inconnues des structures jusque-là.

Pour faire face, ce sont des centaines de milliers de tickets-service, de panier-repas, de kits d’hygiène qui ont été distribués partout sur le territoire pendant des semaines, sans parler de l’entraide de proximité, elle aussi exemplaire, à l’exemple de celle des habitants de Clichy-sous-Bois (voir p. 7). Une solidarité de voisinage qui s’est aussi révélée dans les messages reçus à l’Espace Solidarité Habitat, à Paris, ou avec l’engagement de « bénévoles Covid » un peu partout en France, à l’image de Brigitte, à la Boutique Solidarité de Saint-Denis de La Réunion : « Je ne m’attendais pas à tant de détresse… je suis à la fois étonnée et inquiète devant le fossé social qui se creuse actuellement. »

Financièrement, matériellement, physiquement, la société civile a massivement et spontanément répondu à l’urgence des besoins. Et dès le mois d’avril, le Président de la Fondation prenait la parole pour signifier toute sa reconnaissance aux anonymes, aux personnalités publiques, aux entreprises et aux fondations françaises et internationales, qui lui ont permis d’agir vite et puissamment, tandis qu’elle pressentait l’arrivée d’une crise économique à l’ampleur inédite et aux lourdes répercussions sociales.

D’une crise à l’autre

Cette générosité exceptionnelle saluée par tous a permis à des dizaines de projets portés par des associations de toutes tailles d’agir auprès des plus fragiles partout en France. Avec le déconfinement, malgré la réouverture partielle de nombreux dispositifs et structures, les associations, certaines toute récentes, continuent d’être soutenues car de nouveaux besoins surgissent au fil des jours. Fin mai, la Fondation avait déjà soutenu 77 000 personnes et 200 structures grâce à son fonds d’urgence. En première ligne avec les plus souffrants, l’ensemble du secteur associatif a également obtenu quelques avancées sociales de la part de l’État : le maintien de la trêve et des places hivernales jusqu’au 10 juillet ou encore le versement d’aides exceptionnelles en mai et juin derniers pour les ménages les plus pauvres, les allocataires APL et les étudiants. Même s’il ne s’agit que de mesures ponctuelles, elles ont apporté un peu de répit et prouvé qu’une véritable volonté politique pouvait atténuer le choc économique, social et humain de la crise.

Mais l’État doit faire plus en termes de solidarité et prendre la responsabilité de promulguer des lois pour agir sur le long terme. Avec une hausse fin avril de 22,6 % du nombre de chômeurs parmi toutes les tranches d’âge, avec une chute du PIB qui pourrait atteindre 22 % au deuxième semestre, avec la reprise très douce du tourisme et du bâtiment, piliers de notre économie, l’État ne pourra faire l’économie de nouveaux arbitrages pour que les plus fragiles et les plus modestes restent debout. À tous les échelons, la puissance publique a montré qu’elle pouvait être efficace, apportant en deux mois de confinement une aide record de 25 000 places de mises à l’abri, ouvrant de nombreux accès à l’eau dans des dizaines de bidonvilles et campements qui en étaient privés depuis des années malgré des interpellations associatives incessantes à ce sujet. À Metz, la concertation de tous les partenaires publics (ARS, CCAS, Préfecture, Mairie…), a permis de mettre à l’abri presque toutes les personnes à la rue en moins de quinze jours ; des tickets-service, des paniers repas et des kits d’hygiène étaient distribués dans les bidonvilles et des autorisations de déplacement étaient fournies dans plusieurs langues. De tels résultats ne peuvent être effacés, tout comme un retour en arrière ne peut être envisagé.

Aussi indispensable que la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, la lutte contre la précarité et la misère doit se poursuivre dans les mois à venir. À la différence du virus, nous savons quels remèdes prescrire immédiatement afin d’éviter de nouvelles victimes :  lancer un plan d’urgence pour en finir avec le sans-abrisme, ouvrir le RSA aux jeunes de moins de 25 ans, créer un fonds d’aide exceptionnel au paiement des loyers et des charges pour les locataires en difficulté… Ces propositions portées par l’ensemble du secteur associatif n’ont jamais été aussi légitimes. Elles peuvent éviter à des dizaines de milliers de vies de basculer dans la pauvreté et elles illustrent aujourd’hui cette aspiration profonde de l’ensemble des citoyens à construire une société plus juste et solidaire.