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Seul et mal logé : briser le cercle

« Vivre à la rue, c’est violent ». La majorité des personnes seules en errance le disaient déjà avant la pandémie. Sans solution d’hébergement ou de logement, condamnées à l’errance, elles risquent leur vie chaque jour.

Assise sur une chaise, Meriem se tient droite, les mains posées sur les genoux. Elle est prête à parler, à relever ce énième défi. Car depuis son arrivée en France, sa vie n’est que défi. Après un mariage arrangé, elle quitte Constantine et s’installe à Strasbourg en avril 2018, avec son mari, Français d’origine algérienne. Immédiatement, le piège se referme. « On m’avait dit que je pourrais continuer mes études, travailler ; que j’aurais une vie sociale, comme tout le monde. » C’est tout le contraire. Meriem est cantonnée dans sa chambre, son mari boit et se montre violent ; sa belle-famille surveille ses faits et gestes, elle n’a plus aucun droit. « Je n’avais rien, je parlais mal français. J’étais désespérée. » Meriem arrive pourtant à résister et après des mois de rebondissements, parvient à s’échapper du domicile conjugal. « À partir de là, je suis restée debout grâce aux personnes que j’ai rencontrées. Je me suis retrouvée dehors, sans rien. J’ai découvert les foyers d’hébergement d’urgence et le 115. C’était horrible. La nuit, tu protèges tes affaires et tu ne dors pas pour éviter les coups. Chaque jour, j’avais peur de demain. »

Meriem se bat pour survivre et fait d’autres rencontres. Avec l’une d’entre elles, elle dépose plainte ; avec une autre, elle se rapproche de l’association « Espoir » qui la met en contact avec une entreprise d’insertion. Pendant des semaines, la jeune femme enchaine les ménages, de 8 heures à midi et de 16 heures à 19 heures, avec l’angoisse de ne pas savoir où dormir le soir. « Pour tenir, je me disais : n’oublie pas ton but ! » Meriem s’accroche à la vie de toutes ses forces. À 29 ans, elle veut prendre sa revanche sur ceux qui ont voulu la briser. Retrouver sa dignité. Ne plus jamais dépendre de quelqu’un. « Je veux vivre en France, le pays des Droits de l’homme. Un jour, je raconterai mon histoire, je remercierai tous ceux qui m’ont aidée. Pour le moment, c’est trop dur… » Aujourd’hui, Meriem bénéficie de l’aide d’une avocate pour régulariser sa situation et, à la Pension de famille « Les Forgerons », elle se sait à l’abri.

« Notre présence les rassure »

Dans le petit bureau où elle témoigne, un planning affiche tous les anniversaires des habitantes. Des affaires, des petits mots en attente témoignent de la vie qui anime le lieu. Ici, 17 femmes ont trouvé refuge. Âgées de 28 à 62 ans, toutes ont derrière elles un parcours de vie marqué par la violence au cours duquel la rue a souvent été le seul échappatoire. « Ici, elles ne sont plus seules et notre présence les rassure car elles sont très vulnérables », précise Millie, l’une des hôtesses de la Pension qui travaille depuis 2 ans aux côtés de Valentine, présente depuis l’ouverture de la Pension, en 2003 : « Beaucoup d’habitantes ont peur de l’extérieur, de la nuit. Elles souffrent de troubles psychologiques, suite à ce qu’elles ont vécu. Il leur faut ce temps, ici, à l’abri, pour retrouver l’estime de soi et la confiance », précise Valentine. Pour Mériem, ce temps a commencé il y a un an. « Quand je suis arrivée, j’étais détruite. Maintenant, je sens tous les jours que je vais un peu mieux. Les traces s’effacent doucement. Valentine et Millie m’aident et je tisse ici des liens avec des personnes en qui j’ai confiance. »

En deux ans, depuis le lancement du plan quinquennal « Logement d’abord », seules 2 348 nouvelles places en Pensions de famille ont vu le jour, alors que 10 000 ont été annoncées d’ici 2022. Ces structures sont pourtant la seule issue en termes de logement pour les personnes seules qui ont connu la rue et qui sont particulièrement fragiles. La Pension de famille est un lieu unique qui leur donne la chance de réapprendre à vivre pour se réinsérer dans la société et s’installer dans un logement autonome le moment venu. Aucune bien sûr n’oubliera la rue, mais avec du temps et un accompagnement humain quotidien, elles pourront s’en affranchir.

« La Boutique, c’est ma famille »

Mike arpente les rues de Metz depuis plus d’un an. Après 19 ans d’errance, il a choisi de se poser ici pour rester en contact avec ses enfants. Avec son chien qui ne le quitte pas, cela fait bien longtemps qu’il n’appelle plus le 115. Trois fois en couple, respectivement père de 3 enfants, il a été propriétaire d’une maison près d’Epinal puis locataire dans la même ville ; d’abord dans un logement insalubre, puis dans un appartement plus grand, qu’il n’a pu garder seul, faute de revenus suffisants. « Je n’ai pas eu de chance, ni avec les femmes ni dans ma vie en général. Mais je ne suis pas le plus malheureux ; c’est normal que je passe après les personnes âgées, les femmes et les enfants. Dans la rue, la violence t’abime vite. »

À 47 ans, dans son treillis militaire, Mike vous regarde droit dans les yeux. « Les années dans ma maison sont mes meilleurs souvenirs. J’avais tout, un toit, une femme et un gamin. Dans le bas du jardin, il y avait un cours d’eau. Après, je me suis pris des coups sur la tête, on a trahi ma confiance… j’ai essayé 3 fois de m’en sortir, on m’a renfoncé de plus belle. Maintenant, c’est bon, j’ai assez donné. » Tous les jours, Mike franchit la porte de la Boutique Solidarité, située près de la gare. Avec ses bons coins de manche, elle fait partie de sa vie. Ici, environ 70 personnes sont reçues quotidiennement ; 95 % sont des personnes seules. « La Boutique, c’est ma famille. On accepte mon chien, je peux discuter ; les gens qui sont toujours disponibles. Mohamed, c’est mon pote, c’est lui qui m’a dit que je pouvais peut-être avoir un logement. Pour l’instant, je ne suis pas prêt. Peut-être un jour, pour accueillir mes enfants, on verra. Je reste ici pour eux… » Mike ne veut pas se projeter. Peur de dépendre du « système » ? D’avoir un loyer à payer ? De se retrouver seul entre 4 murs ? Un peu tout cela. Mohamed, travailleur social à la Boutique depuis 2007, sait qu’il faudra user de patience avant que l’opportunité du « Logement d’abord » puisse être saisie. Mais à la Boutique, il dispose d’un atout, en la personne de « Paco », qu’il accompagne également. Ami de Mike, « Paco » s’est installé dans un studio en juin dernier après 30 ans de rue, grâce à la Boutique Solidarité. Il est enthousiaste : « Mike, je t’invite chez moi ! »