Vous êtes ici :

Il faut aller plus encore au devant des personnes mal logées

Trois questions à Christophe Robert, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre

Quelle est l’analyse de la Fondation, un an après le drame de la rue d’Aubagne ?

« Ce que l’on peut dire, c’est qu’aujourd’hui, il y a une nouvelle prise de conscience collective sur le fait que des centaines de milliers de personnes, dans des territoires très différents en France, vivent dans des logements indignes, insalubres ou dangereux pour leur santé. Pour autant, si l’on se place du point de vue des personnes concernées justement, à Marseille comme ailleurs, rien n’a réellement changé en un an pour la plupart d’entre elles car les réponses n’ont pas été à la hauteur des enjeux.

Après la catastrophe de la rue d’Aubagne, la Fondation a interpellé le Gouvernement en janvier 2019 pour demander la mise en place d’un véritable « plan Marshall » de lutte contre l’habitat indigne sur dix ans. Un plan d’urgence national qui permette, a minima, de sortir de l’indignité 60 000 logements chaque année. Si nous ne nous fixons pas d’objectifs nationaux qui se déclineront ensuite par territoires et qui pourront être évalués dans le temps, il est fort probable n’y aura pas d’avancées significatives, alors que des centaines de milliers de personnes sont en souffrance et en danger. N’oublions pas que l’on dénombre environ 600 000 logements indignes sur notre territoire. À Marseille, où la situation est particulièrement préoccupante avec 40 000 logements concernés, mais aussi dans les Hauts-de-France, en Ile-de-France, en PACA, en Occitanie… Qu’il s’agisse de copropriétés dégradées, d’îlots anciens en centre urbain ou encore de propriétaires occupants en difficulté en milieu rural, la lutte contre l’habitat indigne nécessite vraiment une action nationale d’envergure. »

Comment la mettre en œuvre ? 

« Il faut que l’État donne le tempo et l’ambition mais il faut aussi que ce plan d’urgence soit décliné dans tous les territoires via des engagements contractualisés avec les collectivités locales. Il faut notamment intensifier les opérations urbaines et foncières sur les îlots ou immeubles particulièrement touchés par l’habitat indigne dans les centres urbains… Il faut agir sur tous les fronts, mobiliser tous les acteurs locaux et nationaux et mettre des moyens financiers conséquents sur la table. Un an après le drame, on ne peut se contenter d’intentions, de mesures ou d’évolutions législatives, sans mettre en face des moyens humains conséquents pour les mettre en œuvre. Par exemple, le fait de créer un numéro « habitat indigne » comme l’a fait le gouvernement est positif, mais il faut aussi se poser la question, au-delà de l’information, de l’accompagnement social et juridique des ménages dans la durée. Quel accompagnement pour opérer les signalements, obtenir des travaux, un relogement ou lorsque cela se justifie, une condamnation d’un bailleur ? Nous le savons bien à la Fondation, repérer les situations, accompagner les personnes mal logées pour répondre réellement à leur besoin, demande du temps, souvent plusieurs années, pour obtenir des résultats tangibles. »

Et les moyens financiers ?

« Il est certain qu’il faut mettre également plus de moyens financiers mais aussi en personnel sur la table, du côté de l’É tat comme du côté des collectivités locales. La fiscalité est sans nul doute un levier à mobiliser pour lutter contre l’habitat indigne car il s’agit là de protection sociale et de solidarité. Mais le Gouvernement envoie des signaux contradictoires, avec 3,8 milliards d’économies prévues en 2020 sur le budget du logement, affectant particulièrement les Apl et le logement social. Ne nous y trompons pas, l’habitat indigne est l’un des symptômes majeurs mais aussi les plus violents de la crise du logement. Mais tout est lié. Un territoire pourvu de suffisamment de logements sociaux et de logements locatifs privés à des niveaux de loyers adaptés à la diversité des ménages ne verra pas ou peu de personnes se réfugier dans des logements indignes loués parfois à prix d’or. Il est donc impératif, à côté de la mise en œuvre d’un plan national de lutte contre l’habitat indigne, de recentrer socialement l’ensemble de la politique du logement et le budget de la Nation qui lui est dédié. »