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Aide à l’enfance : maintenir le lien après 18 ans.

Abandonnés, victimes de maltraitance, des milliers de jeunes sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance jusqu’à leur majorité. Mais à leur sortie, quel avenir les attend ? Après dix-huit ans, sans plus aucun soutien, de trop nombreux jeunes sont livrés à eux-mêmes et risquent de se retrouver à la rue.

Patrick a dormi des mois sous un toboggan, dans un square parisien. « J’étais libre, j’avais des potes de rue. Je préférais ça plutôt que faire le ménage dans une famille qui n’était pas la mienne... » Pris en charge par sa grand-mère jusqu’à 5 ans, puis par 2 familles d’accueil dont il a gardé de mauvais souvenirs, Patrick s’est enfui quelques jours avant ses 18 ans. « J’en avais marre d’être surveillé et commandé. Je voulais exister dans ce monde par moi-même. La rue, c’est dur mais on est libre. J’ai dormi en centre d’hébergement d’urgence, puis j’ai eu une place en foyer. Mais je ne m’y sens pas bien, entouré d’adultes avec qui je ne partage rien. » Après une pause, Patrick avoue qu’il ne s’y sent même pas en sécurité. « Quand je suis parti de chez ma famille d’accueil, on n’a pas cherché à me retrouver. Si j’avais pu parler à ce moment-là, peut-être qu’on aurait pu m’aider… » De l’eau a coulé sous les ponts depuis. Patrick est aujourd’hui en service civique à Paris : « J’aide des personnes âgées et ça me plaît… j’ai trouvé cet emploi tout seul. Je n’ai pas peur de travailler, je sais que je peux m’en sortir tout seul. Je voudrais qu’on me considère comme un homme, qu’on me donne ma chance. J’aimerais avoir un logement, me sentir chez moi. Dire qu’on a été placé, c’est tout de suite perçu comme un handicap. Comme je suis orphelin, ça en fait un de plus… je me sens toujours rejeté. » Devant son assiette, au café de la gare, Patrick essuie quelques larmes qui traduisent le manque d’affection, le manque de confort, le manque… de tout. Difficile de supporter tout cela, seul, à 22 ans.


En France, ils sont plus de 10 000, anciens jeunes placés en institutions d’aide sociale à l’enfance, à vivre dans la rue. Un chiffre accablant qui illustre la brutalité des « sorties sèches », comme on les nomme, pour ce public particulièrement fragile et tout juste sorti de l’adolescence. « Les jeunes que nous entourons ont vécu toutes sortes de violence. Ils sont psychologiquement très fragiles. Avant toute chose, il faut d’abord recréer la confiance avec l’adulte qui n’existe plus du tout », précise Annie Delvaux, responsable du foyer SAAIVP d’Ouges, près de Dijon, où 23 jeunes sont accompagnés jusqu’à leur majorité et au-delà de manière remarquable.


« Compter pour »


Toute la démarche de l’équipe éducative repose sur cette expression. « Quand un jeune nous quitte, on ne coupe pas le lien. Il compte pour nous et nous comptons pour lui. Pendant tout son séjour, il a suivi un véritable parcours de formation à l’autonomie », explique Annie Delvaux. Santé, budget, logement, scolarité, insertion professionnelle… pas moins de 6 professionnels accompagnent chaque jeune au quotidien et l’aide à franchir 4 paliers d’autonomisation. En moyenne, un jeune reste 18 mois dans la structure. « Notre objectif, c’est de les mettre en perspective et dans la réalité car ils n’auront aucun soutien dehors. Etre libre, oui, mais pas sans rien. À leur sortie, 90 % de nos jeunes ont un revenu et sont dans un logement. »  Pour permettre aux jeunes de s’assumer pleinement et sereinement à leur majorité, l’équipe va même plus loin en les mettant en situation dès que possible. « Nous essayons d’anticiper la sortie en plaçant nos jeunes en logement autonome 6 mois avant la fin de leur prise en charge par l’ASE. Pour nous, une place en foyer de jeunes travailleurs ne peut pas être considérée comme un logement, c’est juste une solution transitoire. Nous avons constitué peu à peu un réseau de bailleurs privés et nous avons actuellement une trentaine de logements sur Dijon. Tous nos bailleurs sont sensibles à notre démarche, nous leur expliquons chaque situation et veillons à ce que le jeune remplisse ses obligations de locataire », ajoute Annie.
Début 2019, 15 mineurs expérimentaient ainsi l’autonomie dans le logement. Mise en place en 2012, la démarche a fait ses preuves et aucun jeune parmi la centaine passée par le foyer n’a donné de mauvaises nouvelles. Seuls quelques épisodes de rue ont été recensés, très courts et tous volontaires. Et depuis 3 ans, les jeunes bénéficient d’un point d’ancrage au cœur de la capitale régionale.


La Touline

Faisant référence à la corde qui permet d’amarrer un bateau, ce dispositif a été mis en place en 2016 dans plusieurs villes de France. Financé en grande partie par le Fonds Social Européen et expérimenté par les Apprentis d’Auteuil, il est destiné aux jeunes sortants d’ASE et ne fonctionne que sur la base du volontariat. Il s’est naturellement imposé à Dijon où le lien est le socle de l’autonomie. « Le jeune reste acteur, je ne me substitue pas à lui, je l’amène à utiliser tous les dispositifs de droit commun qui sont à sa disposition. On est toujours sur un accompagnement global, je suis là pour répondre aux questions, aux problèmes », précise Hughes Hardelot, coordinateur de la Touline dijonnaise. Une démarche à la CAF, un impayé de loyer, un moment de solitude… « Je ne suis pas éducateur, je ne suis pas là pour les recadrer mais plutôt pour donner un coup de main, pour mettre tout en place afin qu’ils réussissent. » Hugues est en lien constant avec les deux foyers dijonnais de la Fondation d’Auteuil. « J’aide aux devoirs et dîne avec les jeunes au moins une fois par semaine, ça permet de créer des liens utiles par la suite. » Gwendoline a connu Hugues au foyer et quand il lui a proposé son aide, elle a tout de suite accepté. « Je sais que je peux l’appeler, ça me soulage. Du coup, si j’ai un souci, je ne suis pas en panique », note-t-elle. D., peintre en bâtiment, est sortie du foyer il y a plus de 2 ans, elle se souvient de l’écoute et du soutien qu’elle a reçus lors de son premier souci : « Il y avait des moisissures dans mon 1er logement qui était mal isolé, je m’en suis rendue compte une fois installée. Et en plus, le loyer était élevé, on m’avait dit que c’était un peu risqué. Du coup, on en a parlé et j’ai fait mes démarches pour déménager. J’ai cherché et fini par trouver plus petit, en bon état et moins cher. »

Dans le cadre du Plan de lutte contre la pauvreté, les jeunes en ASE seront désormais pris en charge jusqu’à 21 ans. Quant à la Touline, elle a été citée en février dernier comme modèle d’accompagnement. À ce titre, elle pourrait bénéficier d’un soutien financier départemental. Un espoir pour ceux qui cherchent à pérenniser des solutions concrètes pour que la sortie d’institution ne soit pas une fin, mais un moyen.