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Je suis désolé de vous montrer mes conditions de vie

José vit depuis 23 ans dans un "logement" de moins d'un mètre carré de surface habitable, sous les combles de son immeuble. Cette situation est représentative des abus commis par les marchands de sommeil.

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C’est avec le sourire que José Lopez prononce ces mots, en ouvrant la porte du local qu’il occupe depuis 23 ans exactement. 23 ans dans moins d’un mètre carré de surface habitable, sous les combles de son immeuble situé au 4, avenue Jean Moulin, dans le XIVe arrondissement de Paris.

Un petit tabouret, une petite table, un petit coin cuisine… tout est à échelle réduite dans cette pièce éclairée par un vasistas vétuste qui fuit depuis 15 ans. « Je mets des torchons tout autour de l’ouverture quand il se met à pleuvoir mais dès qu’il y a un gros orage, le sol est inondé. » Pour éviter que l’eau de pluie ne finisse par ruissellement sur le parquet, José a placé un saladier juste à côté de la poutre qui délimite l’espace de vie si étroit. Pour se tenir débout, une seule solution : se plaquer contre les étagères ou se placer à l’angle de la porte, face à l’évier.

 

 

Comme le vasistas, la toiture est en mauvais état : « Chaque matin et plusieurs fois dans la journée, je regardais la météo pour éviter de retrouver tout inondé ». Depuis le 9 septembre, José est retraité. Sociologue de formation, il a définitivement quitté son poste de bibliothécaire à la maison du Mexique, à la cité universitaire de Paris.

« Pendant toutes ces années, j’ai eu le droit d’utiliser les douches et les sanitaires de mon lieu de travail et cela m’a permis de tenir. » Car, bien sûr, dans le local qu’il loue 450 euros par mois, pas place pour des toilettes, ni pour une douche.

Pour la douche, José doit se rendre à la piscine municipale à ¼ d’heure de chez lui et payer pour se laver. Pour les toilettes, il faut aller à l’autre bout du couloir et sortir dehors, sur le tout petit balcon ouvert à la vue de tous, pour accéder aux toilettes turques collectives. Elles sont utilisées par les locataires des 10 chambres situées au 4e étage. 7 sont occupées à l’année, les autres le sont plus ou moins périodiquement. Des travailleurs saisonniers employés dans les grands restaurants du Boulevard Montparnasse tout proche, y séjournent régulièrement.

 

« J’ai cru la dame sur parole »

« Quand je suis arrivé il y a 23 ans dans cet immeuble, on m’avait dit que le logement faisait 15 m2. J’ai cru la dame de l’agence immobilière sur parole. Au départ, il y avait une quinzaine d’appartements dans l’immeuble. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine de locataires. J’ai vu les appartements se diviser sous mes yeux et aujourd’hui, ce qui me fait le plus mal, c’est de voir qu’il y a même une ou 2 familles avec des enfants qui louent de si petits espaces ! » Sur les 3 étages inférieurs en effet, les logements ne dépassent guère la surface d’un studio ou d’un F2.

Malgré sa vigilance, José s’est souvent fait prendre par la pluie pendant son sommeil. « Après avoir changé au moins dix fois de matelas, j’ai finalement trouvé la solution. J’ai supprimé le lit ! Je dors par terre, sur des coussins et dans un sac de couchage ; comme en camping en somme » Jose garde son sourire, en montrant le gros sac de voyage qui contient son lit.

Même si avant d’arriver en France, il a vécu pire au Pérou, vivre dans ses conditions à 71 ans n’est plus supportable. « Le propriétaire n’a jamais voulu changer le vasistas. Au bout de 15 ans, j’ai réussi à lui faire changer le chauffe-eau qui était vraiment dangereux et l’an dernier, c’est le risque d’incendie qui l’a poussé à changer les plaques de cuisson. Ce que je n’accepte vraiment plus, c’est de marcher à 4 pattes comme un chien, pour aller chercher mes affaires ou traquer les souris. »

Car José doit également affronter cela, les souris qui prolifèrent dans l’immeuble malgré un traitement sanitaire répété tous les 6 mois environ. Les nuisibles reviennent sans arrêt, avec une préférence pour le local de Jose qui jouxte le conduit de cheminée principal de l'immeuble. « J’ai installé 2 lampes à ultra-sons, mais mon médecin m’a alerté sur le fait que l’on ne sait ce que cela peut provoquer à long terme sur les humains.»  Chaque soir, José dort près d’une des lampes ; il ne peut pas faire autrement, il ne supporte pas de sentir les souris galoper sur son sac de couchage… et puis il y a les livres qu’il faut protéger. Partout dans la pièce, des piles bien organisées pour que rien ne s’écroule.

 

 

« Je suis chercheur et mes livres les plus précieux sont là, autour de moi ; le reste est à la cave qu’on a bien voulu me laisser occuper, car j’ai beaucoup d’archives. Mais aujourd’hui, le propriétaire me demande de partir au plus vite et menace depuis 8 jours de vider la cave…»

Les menaces ne sont pas venues par hasard. Elles se sont même accentuées depuis juin dernier, lorsque le local de José a été déclaré impropre à l’habitation par le service technique de l’habitat de la Ville de Paris, comme deux autres logements de l’immeuble, suite aux 6 signalements effectués par l’ESH, l’Espace Solidarité Habitat de la Fondation Abbé Pierre.

 

Outre les démarches administratives engagées par l’ESH, et malgré la prise de 3 arrêtés d’interdiction d’occupation, le bailleur n’a relogé aucune personne. Pire encore, depuis juillet dernier, l’agence Leroux Immobilier auquel le propriétaire a confié la gestion de l’immeuble depuis mai 2018, se contente d’envoyer des annonces immobilières inadaptées aux besoins et aux profils des personnes concernées…

« Vous ne me croirez jamais, mais à mon âge, la dame de l’agence m’a envoyé des annonces de logement étudiant ou encore des surfaces de moins de 9 m2 situées au 7e étage sans ascenseur ! Elle se moque de moi, elle se moque de la Loi. »

Aujourd’hui, José a décidé de témoigner et de ne plus passer sous silence de tels comportements indignes et hors la loi. Avec l’aide de la Fondation Abbé Pierre, il a décidé de dénoncer ce marchand de sommeil auquel il a versé 124 200 euros de loyer en 23 ans… pour 0,9 m2.

Dans l’immeuble, 5 autres lots, entre 3 et 6 m2 sont loués à partir de 450 euros/mois… Tous ces micro-logements présentent des problèmes d’isolation et des fuites… Actuellement, une procédure en justice a été engagée au civil contre le bailleur et l’ESH et d’autres le seront rapidement. L’ESH a également fait un signalement au Parquet, en mars dernier. Les ménages ont été orientés vers un avocat du réseau de la Fondation qui les défendra lors des différentes procédures en justice. La Fondation pourrait se constituer partie civile.