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L’emploi ne garantit plus un logement décent

La Fondation Abbé Pierre dévoile une nouvelle dimension du mal-logement grâce sa campagne de sensibilisation.

Comme chaque année, la Fondation Abbé Pierre lance à la veille de l'hiver sa nouvelle campagne de sensibilisation réalisée par l'agence BDDP Unlimited et visible partout en France à partir du lundi 17 novembre.

"Cette campagne était à la fois évidente et compliquée à réaliser. Il fallait réussir à évoquer les liens entre emploi et logement et susciter une émotion forte dans l'immédiateté... Nous avons donc choisi un angle, celui de la réalité des travailleurs pauvres. La campagne met en parrallèle deux univers : d'un côté, le non-logement et le mal-logement à travers 3 situations fortes ; de l'autre côté, le monde du travail à travers des mots tels que CDI, temps partiel... Je pense que nous avons réussi à décliner sur les 3 visuels ce que la Fondation veut dénoncer dans cette campagne : désormais, l'emploi ne garantit plus un logement décent."

Laurence Pétolat - Directrice générale BDDP et Fils

 

À travers trois visuels choc affichés sur quelque 12 000 faces (dont de nombreux panneaux JCDecaux offerts), elle fait voler en éclat l’idée reçue selon laquelle avoir un travail constitue la garantie de pouvoir accéder à un logement digne et sensibilise l'opinion au problème auquel de plus en plus de Français sont confrontés : comment accéder au logement et s'y maintenir lorsque l'emploi est précaire, lorsque les ressources sont modestes ou lorsque que les contrats à durée déterminée s'enchainent ?

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Découvrez le clip de la campagne

 

Aujourd'hui, 50 % des jeunes de – 25 ans sont soumis au « travail en miettes », alors que cela concerne 13 % du reste de la population (Sources : Fondation Abbé Pierre, RML 2014).

Autre chiffre révélateur : près de deux millions de personnes vivent avec 800 euros/mois. Si l’on compte conjoints et enfants, 1,9 à 3,8 millions de personnes vivent dans un ménage pauvre (Observatoire des Inégalités, mars 2013).

Le plus souvent, familles, couples et célibataires sont contraints de faire des choix qui n'en sont pas : s'éloigner de plus en plus loin des grandes villes aux loyers inabordables et augmenter leur temps de transport et leur coût de déplacement ; réduire leur reste-à-vivre au minimum afin de pouvoir se loger dignement.

Aujourd'hui, 70 % des actifs refuseraient une opportunité professionnelle si cela les obligeait à accroître leurs dépenses de logement (Crédoc. 2011).

En France, 2 millions de personnes ont refusé un emploi au cours des 5 dernières années « parce que cela les aurait obligées à déménager en occasionnant un surcoût financier ».

 2 millions de personnes auraient également refusé un emploi ces 5 dernières années car « cela les aurait obligées à passer trop de temps dans les transports. » (Credoc 2011).

 

Comment concilier accès au logement et travail précaire ? Comment se maintenir dans son logement lorsqu'on est en difficulté ?

Un quotidien national titrait l'hiver dernier : « L’erreur » de la petite maison de village : 640 euros de transport par mois. Si Evelyne n’est pas tombée dans ce piège-là, elle n’est pas passée loin de ce type « d'erreur » dont ce couple-propriétaire en périphérie nantaise a été victime.

8 ans passés en Ile-de-France et 50 minutes de trajet quotidien pour faire 8 km l’ont amenée à franchir le pas avec mari et enfants.Première étape, cerner la zone géographique la plus propice : pas facile d’allier bassin d’emploi et proximité familiale.

« Je voulais me rapprocher de ma mère, j’ai déchanté sérieusement quand j’ai vu ce qu’on pouvait s’offrir. J’imaginais une maison cossue près de Dinan, avec un grand jardin. Nous avons dû opter pour un pavillon avec 3 chambres et 700 m2 de terrain. » La longère sur 2000 m2 de terrain est restée un rêve.

« Au début, je travaillais à Rennes, à 65 km de la maison et mon mari à Saint-Brieuc, 55 km à l’opposé. Pendant un an, les amplitudes horaires ont été extrêmes. Les bouchons, les imprévus, la route… c’était intenable. Nous avions 500 euros mensuels de frais de voiture pour un budget net de 3000 euros, sans compter l’usure des véhicules ».

À ajouter également, les frais de garde des enfants, de 07h30 à 18 heures, soit 300 euros supplémentaires. « Si j’avais pris les rares transports en commun qui fonctionnaient sur mon trajet, il aurait fallu encore augmenter le temps de garde et même en payant, je n’aurais pas trouvé de nounou avec de tels horaires. » 

Encore aujourd’hui, après 3 heures de voiture journalières, le soir à la maison, « il y a  zéro temps de loisirs ». Devoirs, bains, repas, tout est chronométré. Une contrainte quotidienne que les enfants ne supportent plus : « Ils le disent, ils en ont assez. J’essaye de venir chercher ma fille à l’école une fois par trimestre et là, c’est la fête. »

 

Réduire les coûts, question de survie

« En 7 ans, pas plus de train, pas plus de bus. Mais bien sûr, plus de monde sur la route ! Nous mettons 20 minutes de plus aujourd’hui. » Ce qui donne 1 heure 30 de trajet pour faire 65 km… et un budget voiture en augmentation lui aussi. « La première raison du covoiturage, ça a été l’allègement du budget. Avec la qualité de vie ici, c’est ce qui nous fait tenir. Dans 3 ans, la maison sera payée et on pourra mettre un peu de côté. Et puis, le covoiturage créait des liens enrichissants. »

Horaires décalés, éloignement de l’habitat, densification du trafic… À Rennes, ces données augmentent depuis 10 ans. Et pour l’équipe associative de  « Covoiturage plus », la sensibilisation des particuliers est devenue plus que nécessaire.

Pour cette équipe pionnière, la vigilance est toute particulière auprès des apprentis et des jeunes en recherche d’emploi. « Il n’y a pas si longtemps, on envoyait les jeunes dans le lycée professionnel le plus proche du domicile, il n’y avait pas de choix possible. Aujourd’hui, le 1er employeur de France, ce sont les artisans et ils ne sont pas tous à Rennes ! Ils sont dans les bourgs et villages alentours et sans voiture, pas de travail.

Une jeune fille était prête à faire 50 km par jour pour 4 heures de travail/jour payées au Smic. De la folie ! Nous travaillons avec les missions locales, les points Accueil Emploi pour développer le covoiturage transversal. »

Cette difficulté à se loger en centre-ville avec de petits revenus, Michelle Cattania, directrice de l’AIVS de Rennes, la connaît bien.

« Les ménages en temps partiel représentent 22 % des locataires des 500 logements, que nous avons sur l’agglomération. La majorité de notre public vit avec 700 euros mensuels ou moins. 71 % des jeunes qui utilisent le « sociohôtel » que nous avons ouvert en 2008 à deux pas de la gare, sont en formation, en stage ou en recherche de logement. En outre, nous avons effectivement une montée en puissance de ménages en situation instable pour lesquels le lien entre logement et emploi est fragilisé. »

 

Nouvelles solidarités

Christopher est heureux. Jeune père de famille, il vient d’acheter avec sa compagne un terrain à bâtir. Christopher a 28 ans, il est vendeur informatique au centre Leclerc de Saint-Nazaire. Il habite depuis 2 ans dans l’immeuble que le directeur de l’hypermarché, Loïc Rigault, a fait construire pour ses employés en 2012.

« On devrait s’installer en 2015. On a de la chance, nos amis n’en sont pas encore là. Ce qui a fait la différence, c’est notre logement, à côté de l’hypermarché où je travaille en CDI. »

« L’idée a germé alors que le litre de super était à 2 euros et que nos jeunes salariés devaient aller de plus en plus loin pour trouver un logement accessible, parfois à 30 km. Aujourd’hui, nous avons un immeuble basse consommation avec des loyers 30 % moins chers que sur le parc privé et qui couvrent l’intégralité des intérêts de l’emprunt et des charges collectives. »

Parmi la trentaine de logements, Christopher a choisi un T3 avec jardinet, à 592 euros, charges comprises. « On a sauté sur l’occasion tout de suite. On vivait avant chacun chez nos parents … pas vraiment une vie de couple ! Je suis à 2 mn à pied de mon travail, nous avons un parking. On n’utilise plus qu’une seule voiture, soit 10 % d’économie sur notre budget, sans parler du loyer vraiment intéressant. En plus, comme nous avons 2 chambres, nous avons pu avoir notre enfant. Sans stress et dans le confort. »

Le stress lorsqu’on ne peut imaginer l’avenir, lorsque survient la précarité dans l’emploi ou dans le logement, les 3 conseillères économiques et sociales d’Inicial 35, le service Action Logement rennais, gèrent cela au quotidien.

« Les entreprises nous sollicitent de plus en plus car leurs salariés sont durablement déstabilisés. On aide à trouver la béquille pour qu’ils puissent continuer à avancer. Face aux récentes fermetures d’usines en Bretagne, il faut accompagner le salarié dans la mobilité ou dans le maintien. Depuis 2008, il y a une détérioration très nette de la solvabilité des locataires : éviter l’endettement ou le gérer, accompagner la mutation, intervenir avec du micro-crédit… nous faisons de l’accompagnement de proximité auprès de toutes les familles."