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« J’ai vu mon immeuble se bâtir »

Ahmed a vécu 20 ans à la rue, dans le quartier de la gare St Lazare, à Paris. Depuis 1 an, il a une adresse.

« Tout en bas de la rue, il y a l’église de la Trinité, ils servent des repas chauds du lundi au vendredi, tous les midis. De l’autre côté, près de la gare, il y a une autre église, je ne me souviens plus de son nom, mais là-bas, on peut manger aussi et il y a même un médecin qui passe… Là, devant, c’est un parking de 4 étages souterrains, il n’y a que lui qui n’a pas bougé, tout le reste, les magasins, les banques que vous voyez, ça n’existait pas avant…»

Avant, c’était il y a longtemps car cela fait quelques années que Ahmed, sans domicile, vit ici. Depuis 20 ans, il a pris racine dans ce quartier qu’il a choisi et qu’il aime, dormant dans les rues et vivant sur la petite place située au-dessus de la gare St Lazare.

Ancien décorateur et peintre d’intérieur, il a quitté Grenoble « après des galères » et s’est retrouvé à Paris. Il s’est très vite « installé » dans ce quartier qui est le sien et dont il ne veut pas bouger. L’artiste dans l’âme y fait la manche et a passé des journées à regarder les autres, à dessiner, y compris les murs.

« L’histoire de ma vie, c’est comme celle des autres, elle s’est construite petit à petit, au fil du temps. Moi, j’ai fait la manche pendant des années ici, sur la place. J’appelle cet endroit « mon podium ». Je regarde, j’observe. Je connais tout le monde ici. Je n’ai jamais voulu bouger. Aujourd’hui, j’ai un logement, c’est merveilleux, ça a bouleversé ma vie. Cet immeuble, je l’ai vu se construire et j’ai tout de suite dit, c’est là que je veux habiter. »

J’ai changé de vie !

Il y a un peu plus d’un an, en septembre 2022, Ahmed a été le premier habitant à s’installer dans la Pension de famille d’Amsterdam, géré par l’association Solidarités Nouvelles pour le logement (SNL). Il a quitté son « podium » et s’est retrouvé d’un seul coup au 7e étage de la Pension, dans un petit logement.

« J’ai changé de vie, ça oui ! 4 murs et le silence, c’est déstabilisant… Je n’ai toujours pas recommencé à peindre depuis que je suis là. Un an dans un logement, c’est dérisoire pour s’habituer, après 20 ans dehors !

Avant, j’étais tout le temps dehors, dans le bruit et maintenant, depuis ma fenêtre au 7e étage, je vois des bureaux et c’est très au calme. Ici, je paye un petit loyer, c’est un avantage, sinon je ne pourrai pas me permettre de vivre ici avec mon RSA.

Tous les matins, à 04H30, je descends, et je suis dans la rue. Je n’ai pas encore toutes mes marques à l’intérieur… Changer de mode de vie, ça prend du temps. »

Chaque jour, Ahmed assiste à l’ouverture de la gare St Lazare, pas question de louper le passage du livreur de la presse. « On se connaît, je le vois tous les jours. Après, je reste un peu dans la gare et ensuite, je vais sur mon podium. Je connais tout le monde, je parle et je regarde, je demande une pièce ou une cigarette.

Je deviens un sage en observant les autres. Je regarde comment tout évolue, l’être humain et l’environnement… Je remarque que les gens se méfient de plus en plus, qu’ils ont peur.

Si je suis riche

La plupart des gens cherchent à se faire voir… » Ahmed, lui, veut passer incognito et fait partie des modestes, qui n’ont pas besoin d’être mis dans la lumière. Petit à petit, avec l’aide de Julie, l’hôte de la Pension de famille, il participe aux repas et à la vie collective, il apprend à connaître ses voisins.

« Je fais mon ménage tous les jours, je descends au 1er étage pour dire bonjour et voir Julie, si j’ai besoin. Si je suis riche, je lui achète une petite pâtisserie, si elle en a envie… Je vis de manière aléatoire. Mais j’ai un chez-moi et on ne me vole plus rien. J’ai une porte blindée ! Si je vais rester ici jusqu’à la fin de mes jours ? Mais oui, même si on n’est sûr de rien ; la fin de mes jours, ça peut être demain ! » conclut Ahmed qui aime se dire philosophe de la rue.