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« Maman, on dort où ce soir ? »

3 000 enfants se posent cette question, dans notre pays, 7e puissance mondiale. Un chiffre en augmentation de 40 % par rapport à l’an dernier.

Xhevrie a 9 ans. Elle est arrivée d’Albanie avec ses parents et ses deux petits frères, il y a deux ans. « On dormait sous la tente et quand il pleuvait, l’eau rentrait. La directrice et la maitresse d’école savaient qu’on n’avait pas de maison. » On ne lit plus d’inquiétude dans le regard franc de cette petite fille ; mais pas non plus de gaité, encore moins d’insouciance. Xhevrie reste aux aguets. Aujourd’hui, elle est à l’abri avec sa famille, mais demain ? À 9 ans, elle a tout à fait conscience de la précarité de la situation. À 9 ans, elle a déjà connu la rue et l’évacuation par la police ; l’occupation de son école, puis l’hébergement au gymnase de Bellecombe l’été dernier, et depuis septembre, dans cet Ehpad, situé dans le 3e arr. de Lyon. Sa famille est installée dans 3 chambres, au 3e étage. D’un œil, elle surveille ses frères qui jouent dans le couloir avec Guillerme, 7 ans, dont la maman, Sylvia, vit dans la chambre d’à côté, avec ses 2 petits frères. « J’ai vécu 6 mois sous la tente avec mes 3 garçons, place de Milan. il y avait des souris, des hommes méchants ; d’autres qui fumaient. On a beaucoup souffert. Ne pas bien manger, ne pas bien dormir, ne pas bien faire ses devoirs. Tout faire par terre… je ne pensais pas faire souffrir autant mes enfants », avoue dans un souffle cette mère isolée de 37 ans qui a quitté l’Angola en 2021. Guillerme l’a rejointe, il esquisse un sourire, mais très vite, le visage s’assombrit. Pour le petit garçon, le plus dur n’a pas été de dormir dehors. Ce sont les mots entendus et les regards portés qui l’ont marqué et lui font toujours mal. Il murmure très vite : « On m’a traité de pauvre à l’école ». Sylvia pose très doucement sa main sur son épaule : « Le week-end, il avait peur de sortir de la tente, il voyait souvent une fille de sa classe qui habitait le quartier… il avait honte et se cachait, c’était vraiment dur. Je lui disais, reste calme, mon fils, un jour viendra pour nous. »

Une trentaine d’enfants sont hébergés dans cet Ehpad qui n’est plus occupé, avec leurs mères, parfois leurs deux parents. Ici, quel que soit l’âge, tout le monde a en tête le délai d’un an et 3 mois qui a été donné. La crainte est palpable et le combat pour éviter le pire aux enfants n’a pas faibli, bien au contraire. Chaque mardi, la plupart des mamans se rendent à la réunion du Collectif « Solidarité entre femmes à la rue » avec lequel elles ont occupé des écoles et le gymnase. Il y a un an, 19 écoles étaient dans ce cas à Lyon et Villeurbanne. Du jamais vu.

« Dormir dans l’école, ça m’a donné du courage. Je vais aux réunions, il faut s’aider les uns les autres et s’organiser car il y a encore des enfants dehors. On cherche des solutions ensemble, ça fait du bien », précise « Bibiche », la quarantaine, mère de 3 enfants, âgés de 6 à 12 ans. « Mes enfants ont dormi dehors, sur des bancs. J’attendais qu’il soit tard pour demander une chambre à l’hôpital. Chaque soir, c’était la même chose, je changeais d’hôpital souvent. Le 115, ça ne marchait pas. Avec l’occupation de l’école, en septembre 2022, ça s’est enfin terminé », confie cette maman Congolaise arrivée en 2019.

L’école de la République

Né il y a 10 ans, le Collectif citoyen lyonnais a essaimé dans 15 grandes villes de France. Constitué en réseau national en 2022, lors de la 100e occupation d’école, il est aujourd’hui soutenu par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), le Collectif des Associations Unies, la Fédération des Acteurs de la Solidarité et Unicef France. « Mobiliser toute la communauté éducative et associer les familles au combat pour ne pas faire à leur place, c’est notre objectif », précise Raphaël Vulliez, professeur des écoles à Lyon, cofondateur du Collectif : « Aujourd’hui, on est présent dans plus de 200 établissements scolaires en France. On veut mettre l’État devant ses responsabilités en rendant visibles toutes ces situations inacceptables. Rappelons la loi qui affirme l’inconditionnalité du droit à l’hébergement d’urgence. L’État doit appliquer la loi. » Partout, des listes de familles à la rue sont établies par le réseau et chaque soir, le nombre d’enfants sans abri est connu. Depuis 5 ans, le baromètre national publié fin août par la FAS et Unicef France confirme l’aggravation de la situation. En septembre dernier, l’agglomération lyonnaise comptait 40 % d’enfants de plus à la rue… « Quand on se mobilise dans une école, ce n’est pas abstrait, ce sont des enfants au milieu des autres dont il est question. »  À chaque fois, la démarche est la même :  sensibiliser l’école et le quartier, alerter les médias, organiser la solidarité pendant l’occupation de l’école entre 19H00 à 07H00 du matin. « Les enfants, c’est sacré. Ces familles ne sont pas acceptées par le 115 saturé et inadapté. Il faut au moins 10 000 places d’hébergements d’urgence de plus, sans fermeture l’été, et un plan pluriannuel sur l’hébergement et le logement car il faut agir sur le parcours résidentiel de ces familles. »

Montpellier est la dernière ville à avoir lancé une mobilisation citoyenne sous la bannière « Jamais sans Toit ». En octobre, l’école Paul Langevin a été occupée pour mettre à l’abri 3 enfants scolarisés. « Ce qu’ils ont vécu, c’est difficilement imaginable. Beaucoup de gens ont été surpris d’apprendre ce qui se passait, on a eu beaucoup de solidarité, ça a vraiment aidé la famille et ça a transformé l’école ! On a monté un groupe whatsapp, on a vite été une quarantaine. On a interpellé la Mairie et le Département. En une semaine, une solution de logement a été trouvée, dans une résidence étudiante. Depuis, une autre famille nous a contactés. L’occupation de l’école a été éprouvante, mais ça a montré qu’on pouvait trouver des solutions, que c’était possible. On a des bons contacts avec la Mairie, on va essayer de travailler avec elle », explique Marie Nikichine, représentante de la FCPE.

La politique à l’épreuve des faits

Le 17 octobre dernier, Journée mondiale du refus de la misère, l’interpellation citoyenne a changé de braquet, avec le soutien officiel de 65 parlementaires de tous bords signant une Tribune publiée dans la presse nationale. Les élus signataires ont demandé à l’État « une politique du logement et de l’hébergement plus ambitieuse », dénonçant l’insuffisance des « 203 000 places d’hébergement d’urgence maintenues cet hiver pour atteindre l’objectif de « zéro enfant à la rue » fixé par Olivier Klein à l’automne 2022. Alors que cet objectif n’a pas été atteint l’an dernier, c’est exactement le même nombre de places d’hébergement d’urgence que l’on retrouve dans le Pacte des solidarités 2023-2027 annoncé tout juste un an plus tard par la Première ministre. Les enfants à la rue sont-ils vraiment une priorité de l’État ?

Mi-novembre, le Secours Catholique publiait son rapport annuel sur la pauvreté : en 2023, les femmes avec enfants ont été les plus touchées par l’augmentation de la précarité ; 74 % du public accueilli pendant l’année par l’association caritative était en situation d’extrême pauvreté, soit 10 points de plus qu’il y a 5 ans à peine. À Lyon, l’association « Solidarités femmes à la rue » s’est justement constituée pour leur offrir un espace de parole dédié et compléter l’action de « Jamais sans Toit ». Depuis 9 mois, il leur permet de renforcer l’entraide et la mobilisation. « À la rue, les mères font tout pour être invisibles pour protéger leurs enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, elles agissent, elles sont très courageuses », précise Juliette Murtin, professeure dans le secondaire, cofondatrice de l’association.

Le 20 novembre 2023, journée internationale des droits de l’enfant, on comptait près de 25 écoles occupées sur tout le territoire, abritant des dizaines d’enfants. À quand une véritable réponse de l’État pour que plus « aucun gosse ne couche ce soir sur l’alsphate ? »

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