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La face cachée des "tanguy", ces jeunes en hébergement contraint chez leurs parents.

Aujourd'hui en France, plus d'un million de jeunes majeurs quitteraient le domicile parental, s'ils en avaient les moyens financiers.

Dans le film d’Etienne Chatiliez, le jeune « Tanguy » se complaît jusqu’à un âge avancé dans l’appartement cossu de ses parents. La réalité des jeunes hébergés chez leurs parents est un phénomène massif, mais hélas souvent bien plus sombre que dans le film. Pour mieux documenter ce phénomène, la Fondation Abbé Pierre publie aujourd’hui des chiffres inédits sur la situation des jeunes majeurs hébergés chez leurs parents, issus de son exploitation de l’enquête nationale Logement (ENL) 2013 de l’Insee.

4,5 millions de majeurs vivent chez leurs parents ou grands-parents. Parmi eux, 1,3 million ont plus de 25 ans. 1,5 million ont un emploi rémunéré, dont la moitié en CDI à temps complet. Près d’1 million ont déjà vécu dans un logement indépendant avant de revenir au domicile parental, souvent faute de solution alternative. Le nombre de jeunes hébergés cumulant plusieurs critères de contrainte (personnes de plus de 25 ans revenues après une décohabitation au domicile parental faute de logement autonome) a augmenté de 20 % entre 2002 et 2013, passant de 282 000 à 338 000. Ces chiffres massifs posent la question de marchés immobiliers devenus inaccessibles pour une large part de la population, en particulier les jeunes qui figurent au premier rang des victimes de la crise du logement.

 

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"Je frappe à toutes les portes..."

Mme M. a 26 ans. Mariée en décembre 2014, elle est enceinte de 3 mois et vit encore chez ses parents. Son mari est dentiste et vit pour l'instant au Sénégal. Tant que le couple n'a pas trouvé de logement abordable, chacun est contraint de vivre séparé de l'autre.

"Je cherche désespérement un appartement pour nous trois. Pour le moment, cela va encore, mais dès que le bébé va être là, cela deviendra difficile chez mes parents. Nous vivons à 5 dans un F4, mes deux petits frères partagent la même chambre pour me laisser un peu d'intimité. J'ai contacté le Cllaj, la Mairie, le bailleur social de mes parents... je frappe à toutes les portes possibles pour trouver un logement social car dans le parc privé, c'est vraiment impossible."

Mme M. vit à La Celle Saint Cloud, dans les Yvelines, commune qui compte 32,4 % de logements sociaux. Pourtant, malgré sa demande effectuée il y a plus de deux ans, Mme M. n'a encore eu aucune proposition.

 

70 % du salaire pour se loger

"J'espère qu'avec l'arrivée du bébé, ma demande va être prise en compte. De toute façon, je n'aurai pas le choix, il faudra que je reste avec mon mari chez mes parents. Louer un petit appartement dans le privé, même si mes parents nous aident pour la caution, cela représenterait 70 % de mon salaire... ça n'est même pas la peine de l'imaginer.

Je n'ai pas honte de ma situation, les gens savent que je vis encore chez mes parents. D'ailleurs, beaucoup de mes amis sont dans la même situation. Mais c'est sûr, je voudrais bien avoir mon autonomie."

Mme M. a obtenu un BTS en management commercial il y a deux ans et a trouvé du travail tout de suite après. L'entreprise qui l'employait a déménagé à Tours, elle ne l'a pas suivie, préférant rester proche de sa famille. Elle cherche à nouveau du travail et les entretiens d'embauche se succèdent...

Le futur père de famille espère pouvoir rapidement obtenir une équivalence de diplôme et pouvoir exercer en France. Le jeune couple croise les doigts pour être enfin réuni avant la naissance.

Comme Mme M. plus d'un million de jeunes majeurs quitteraient le domicile parental, s'il en avaient les moyens financiers.

"Je participe au loyer de mes parents, cela me paraît normal. Mais ce que je voudrais vraiment, c'est réunir ma famille et pouvoir être indépendante. Nous voudrions montrer que nous sommes capables de nous en sortir tous les deux."

 

"on travaille et sans mes parents, on serait SDF !"

Davy a 25 ans, il est menuisier-poseur et vit depuis plus d'un mois chez ses parents avec sa compagne. Dans un logement Hlm de 40 m2 à La Rochelle.

"Mes parents sont âgés maintenant, ils ont plus de 60 ans et moi, cela faisait bien longtemps que j'avais quitté le domicile parental. C'est dur, vraiment, de se retrouver à deux couples, avec ses parents. Nous n'avons pas les mêmes horaires ni les mêmes habitudes. Dès que nous voulons voir du monde, on est obligé de sortir. Vraiment, ça ne va pas pouvoir durer trop longtemps.On essaye de vadrouiller un peu à droite à gauche pour ne pas trop géner mes parents, surtout que mon père vient de se faire opérer et qu'il a besoin de beaucoup de repos et de calme. "

L'année dernière, le couple vivait et travaillait à Niort. Mais Davy a trouvé un contrat d'un an à La Rochelle et ils ont dû partir. Tout leur déménagement s'est donc retrouvé dans le petit appartement parental.

Au début, on pensait qu'on allait trouver rapidement, c'est pour cela qu'on avait tout entreposé chez eux. Mais en fait, ici, on ne trouve aucun T2 en bon état à moins de 700 euros par mois, charges comprises. C'était bien moins cher à Niort, mais de toute façon, on n'a pas le choix. Nous allons là où le travail se trouve... J'ai frappé à toutes les portes. Associations, mairies, sites internet.... partout, nous ne sommes pas prioritaires. Si mes parents n'étaient pas là, on serait à la rue."

Avec un peu plus de 1 300 euros mensuels de revenu, le couple ne voit pas d'issue à sa situation. Alors, pour éviter de compliquer encore la situation, Davy et sa compagne essayent de se faire héberger de temps en temps chez des amis. À droite, à gauche... jusqu'à quand ?

"Vraiment, on en a marre. On travaille, on gagne notre vie et on ne peut pas se loger. C'est pas normal."