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Expulsions : la Fondation dénonce un Etat défaillant.

À quelques jours de la fin de la trêve hivernale des expulsions locatives, rien ne permet d’espérer une prise de conscience des pouvoirs publics pour éviter la poursuite de ce fléau social.

"Le compte à rebours est commencé. Je ne pense plus qu'à ça et c'est très angoissant. Les nuits sans sommeil s'enchainent et on finit par tomber. Mon conjoint et moi sommes expulsables à partir du 2 avril et la veille, nous passons en commission pour un relogement. Mais si ça ne marche pas ?

C'est vraiment dur de vivre comme ça. Les cartons sont prêts mais on ne peut pas imaginer qu'on va quitter notre logement avec les forces de l'ordre, ça c'est carrément impossible... J'ai fait toutes les démarches : demande de logement social, dossier Dalo ; j'ai frappé à toutes les portes. 

On a commencé à avoir des soucis pour payer notre loyer il y a 6 mois. Quand j'ai perdu mon travail et que mon conjoint a été licencié. Son employer a mis beaucoup de temps à faire les papiers, donc il n'a rien touché pendant des mois. Moi, j'étais en fin de droits à ce moment-là. On a contacté notre propriétaire, on a tout fait pour continuer de payer quand même. L'aide du FSL nous a été refusé par le bailleur privé. On a fait un plan d'apurement mais la propriétaire n'a jamais répondu....

Aujourd'hui, je suis en contrat "Garantie jeunes" pour 6 mois et je touche une aide versée par la mission locale. Mon conjoint touche le RSA socle. On vit avec 716 euros/mois et notre loyer est de 695 euros.

Si on nous expulse, on sera obligé d'aller en foyer. Nous n'avons pas du tout de famille ni d'amis qui peuvent nous héberger sur Lens. On ne veut pas imaginer ça. Moi qui ai quitté le domicile parental à 17 ans et qui ai toujours vécu en logement autonome, je ne tiendrai pas... Vraiment c'est une période très dure. On veut rester confiant mais plus la date approche, plus c'est difficile...

La seule bonne nouvelle, c'est que mon conjoint a trouvé un emploi dans le bâtiment. Un CDD de 4 mois renouvelables... c'est déjà ça, même si pour trouver un logement, il faut au moins un CDD de 6 mois."

Comme Florine, 22 ans, et son conjoint, 132 016 personnes ont été victimes d'une décision de justice prononçant l'expulsion en 2014, soit 4,8 % de plus qu'en 2013.

11 604 ménages auraient été expulsés avec le concours de la force publique en 2014, soit 15 % de plus qu’en 2013. Au-delà des expulsions avec la force publique, plusieurs dizaines de milliers de ménages quittent leur logement chaque année du fait de la procédure.

Si l’Ile-de-France est très fortement touchée et que les procédures se concentrent majoritairement sur 4 régions (54 % de l’ensemble en 2013), aucun territoire n’est épargné.

Cette augmentation a également concerné les commandements de quitter les lieux, avec près de 20 % de croissance entre 2012 (49 685) et 2014 (59 357).

À ces chiffres doivent être ajoutées les nombreuses expulsions et évacuations de squats, de terrains et de bidonvilles, touchant parfois des milliers de personnes chaque année.

L’expulsion d’un ménage est toujours une défaite, synonyme de violence sociale et d’aggravation des situations d’exclusion.

Des familles sont condamnées à perdre toute stabilité liée à leur habitat : hébergement chez des amis, de la famille, dans des centres d’hébergement, des hôtels, dans d’autres bidonvilles, et souvent, aussi, à la rue.

C’est d’autant plus choquant que cette situation est parfois liée aux carences mêmes de l’administration : délais de carence, délais de traitement d’organismes (versement des indemnités journalières, de la retraite, du renouvellement de titres de séjour, de l’APL, etc.). Le non-recours au droit reste prégnant.

Deux ans après l’adoption de la loi ALUR, le maintien des aides au logement pour les ménages menacés d’expulsion, sous certaines conditions, n’est toujours pas en application. Et le pôle national de prévention des expulsions, annoncé depuis plus d’un an, n’existe toujours pas. `

Même les ménages reconnus comme « prioritaires et urgents » à reloger en vertu de la loi DALO sont victimes d’expulsion sans relogement.

L’Etat expulse des ménages qu’il est censé reloger... La circulaire de 2012 censée mettre un terme à cette aberration est même de moins en moins appliquée au fil des mois.

Ces expulsions s’expliquent par une hausse du contentieux, conséquence logique de la hausse des loyers au cours des 15 dernières années et de la précarisation des ménages. Entre 2013 et 2014, les procédures d’expulsion locatives ont poursuivi leur triste inflation : + 8,8 % pour les assignations au tribunal (175 938) et +4,8 % pour les décisions de justice prononçant l’expulsion (132 016).

La Fondation Abbé Pierre dispose d’une plateforme téléphonique "Allo Prévention Expulsion" dédiée aux ménages menacés d’expulsion : 0810 001 505. Plus de 10 200 ménages ont contacté la plateforme Allô Prévention Expulsion depuis son lancement il y a bientôt 7 ans.

Les personnes qui joignent la plateforme évoquent majoritairement comme cause de la procédure un impayé de loyer (80 %) et pour 9% un congé.

La part des différents facteurs déclencheurs de l’impayé évoqués par les ménages reste sensiblement la même, la perte ou le changement d’emploi arrivant toujours largement en tête (43 %). Une évolution dans la situation familiale, des problèmes de santé ou de surendettement sont d’autres facteurs souvent évoqués (entre 11 et 17 % de l’ensemble).